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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

On fit une partie de pêche. Le soleil approchait de son couchant. Sur le premier plan paraissaient des sassafras, des tulipiers, des catalpas et des chênes dont les rameaux étalaient des écheveaux de mousse blanche. Derrière ce premier plan s’élevait le plus charmant des arbres, le papayer, qu’on eût pris pour un style d’argent ciselé, surmonté d’une urne corinthienne. Au troisième plan dominaient les baumiers, les magnolias et les liquidambars.

Le soleil tomba derrière ce rideau : un rayon glissant à travers le dôme d’une futaie scintillait comme une escarboucle enchâssée dans le feuillage sombre ; la lumière divergeant entre les troncs et les branches projetait sur les gazons des colonnes croissantes et des arabesques mobiles. En bas, c’étaient des lilas, des azaléas, des lianes annelées, aux gerbes gigantesques ; en haut, des nuages, les uns fixes, promontoires ou vieilles tours, les autres flottants, fumées de rose ou cardées de soie. Par des transformations successives, on voyait dans ces nues s’ouvrir des gueules de four, s’amonceler des tas de braise, couler des rivières de lave : tout était éclatant, radieux, doré, opulent, saturé de lumière.

Après l’insurrection de la Morée, en 1770, des familles grecques se réfugièrent à la Floride : elles se purent croire encore dans ce climat de l’Ionie, qui semble s’être amolli avec les passions des hommes : à Smyrne, le soir, la nature dort comme une courtisane fatiguée d’amour.

À notre droite étaient des ruines appartenant aux grandes fortifications trouvées sur l’Ohio, à notre gauche un ancien camp de sauvages ; l’île où nous