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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

On a parfois reproché à Chateaubriand d’avoir trop « soigné » son tombeau. Les lettres qu’on vient de lire, d’un sentiment si chrétien, répondent suffisamment à ce reproche, et certes Alfred de Vigny, le noble poète, avait tort de s’y associer, lorsqu’il écrivait à la vicomtesse du Plessis, sa petite-cousine : « Chateaubriand n’a-t-il pas assez soigné d’avance son tombeau ? N’est-il pas vrai qu’il en a été le saule pleureur toute sa vie ? Il lui faisait de tendres visites sur le bord de la mer, et l’un de ses plus naïfs admirateurs me disait un jour, comme un trait d’originalité charmant : « Monsieur, il est allé cet été, tout seul, voir son rocher de Saint-Malo, et il n’est pas allé faire visite à sa sœur âgée, malade et pauvre, qui demeure quelque part sur cette route-là. On me contait cela dans la voiture noire où je suivais ce pauvre Ballanche qui fut son Pylade[1]. » C’est un conte macabre qu’Alfred de Vigny répétait là à sa petite cousine. La vérité est que pas une seule fois, en son vivant, Chateaubriand n’a fait visite à son tombeau. Il était de notoriété à Saint-Malo, en 1848, à l’époque de ses funérailles, qu’il n’avait pas revu sa ville natale depuis 1792. M. Charles Cunat, le savant et consciencieux archiviste de Saint-Malo, écrivait en 1850, dans ses Recherches sur plusieurs des circonstances relatives aux origines, à la naissance et à l’enfance de M. de Chateaubriand : « Peu de temps après son mariage (19 mars 1792), Chateaubriand partit pour Paris avec sa femme et ses sœurs Lucile et Julie. Depuis cette époque, il ne revit plus sa ville natale, quoi qu’il en eût manifesté maintes fois le désir : il remettait ce voyage d’année en année. » — Quant à sa sœur, Mme de Marigny, qui habitait Dinan, où elle est morte au couvent de la Sagesse, le 18 juillet 1860, Chateaubriand ne l’oubliait point, et il ne cessa de lui écrire jusqu’à la fin, lui qui, dans ses dernières années, n’écri-

  1. Lettres inédites d’Alfred de Vigny, dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1897.