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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

on était agité, affairé : les hommes aiment ce qui est spectacle, surtout la mort, quand cette mort est celle d’un grand. À chaque personne qui sortait du laboratoire ensanglanté, on demandait des nouvelles. On entendait le général A. de Girardin[1] raconter qu’ayant été laissé pour mort sur le champ de bataille, il n’en était pas moins revenu de ses blessures : tel espérait et se consolait, tel s’affligeait. Bientôt le recueillement gagna la foule ; le silence se fit ; de l’intérieur de la loge sortit un bruit sourd : je tenais l’oreille appliquée contre la porte ; je distinguai un râlement ; ce bruit cessa : la famille royale venait de recevoir le dernier soupir d’un petit-fils de Louis XIV ! J’entrai immédiatement.

Qu’on se figure une salle de spectacle vide, après la catastrophe d’une tragédie : le rideau levé, l’orchestre désert, les lumières éteintes, les machines immobiles, les décorations fixes et enfumées, les comédiens, les chanteurs, les danseuses, disparus par les trappes et les passages secrets !

J’ai donné dans un ouvrage à part la vie et la mort de M. le duc de Berry. Mes réflexions d’alors sont encore vraies aujourd’hui :

« Un fils de saint Louis, dernier rejeton de la branche aînée, échappe aux traverses d’un long exil et

  1. Alexandre, compte de Girardin (1776-1855), fils de René-Louis de Girardin, l’hôte et l’ami de J.-J. Rousseau. Il fit avec distinction les campagnes de l’Empire ; colonel en 1806, général de brigade en 1811, il fut fait général de division pendant la campagne de France (1814). Louis XVIII le nomma premier veneur, fonctions qu’il conserva jusqu’en 1830. Il est le père de M. Émile de Girardin, le célèbre rédacteur de la Presse, par qui furent publiés, pour la première fois, les Mémoires d’Outre-Tombe.