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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

le pavé de Paris. Il tenait du roquet ; il avait l’air hargneux et solitaire. Il est probable que Louvel ne faisait partie d’aucune société ; il était d’une secte, non d’un complot ; il appartenait à l’une de ces conjurations d’idées, dont les membres se peuvent quelquefois réunir, mais agissent le plus souvent un à un, d’après leur impulsion individuelle. Son cerveau nourrissait une seule pensée, comme un cœur s’abreuve d’une seule passion. Son action était conséquente à ses principes : il avait voulu tuer la race entière d’un seul coup. Louvel a des admirateurs de même que Robespierre. Notre société matérielle, complice de toute entreprise matérielle, a détruit vite la chapelle élevée en expiation d’un crime. Nous avons l’horreur du sentiment moral, parce qu’on y voit l’ennemi et l’accusateur : les larmes auraient paru une récrimination ; on avait hâte d’ôter à quelques chrétiens une croix pour pleurer.

Le 18 février 1820, le Conservateur[1] paya le tribut de ses regrets à la mémoire de M. le duc de Berry. L’article se terminait par ce vers de Racine :


Si du sang de nos rois quelque goutte échappée ![2]


Hélas ! cette goutte de sang s’écoule sur la terre étrangère !

M. Decazes tomba. La censure arriva, et, malgré l’assassinat du duc de Berry, je votai contre elle : ne voulant pas qu’elle souillât le Conservateur, ce journal finit par cette apostrophe au duc de Berry :

  1. Le Conservateur, tome VI, p. 382. L’article est de Chateaubriand.
  2. Athalie, acte I, scène I.