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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

retrouva au Kamtchatka le portrait de madame Récamier sur porcelaine,[1] et le petit conte Peter Schlemihl, traduit en hollandais. Le héros d’Adelbert, Peter Schlemihl, avait vendu son ombre au diable : j’aurais mieux aimé lui vendre mon corps.

Je me souviens de Chamisso comme du souffle insensible qui faisait légèrement fléchir la tige des brandes que je traversai en retournant à Berlin.


D’après un règlement de Frédéric II, les princes et princesses du sang à Berlin ne voient pas le corps diplomatique ; mais, grâce au carnaval, au mariage du duc de Cumberland avec la princesse Frédérique de Prusse, sœur de la feue reine, grâce encore à une certaine inflexion d’étiquette que l’on se permettait, disait-on, à cause de ma personne, j’avais l’occasion de me trouver plus souvent que mes collègues avec la famille royale. Comme je visitais de fois à autre le grand palais, j’y rencontrais la princesse Guillaume[2] : elle se plaisait à me conduire dans les appartements. Je n’ai jamais vu un regard plus triste que le sien ; dans les salons inhabités derrière le château, sur la

  1. Chamisso avait fait partie, de 1815 à 1818, de l’expédition d’exploration dans les mers du Nord, entreprise par Otto Kotzebue, sous les auspices du chancelier russe Romanzof. Un gracieux souvenir de la France l’attendait au Kamtchatka. « Je vis, dit-il, pour la première fois un portrait que j’ai souvent retrouvé depuis sur des vaisseaux américains, et que leur commerce a répandu sur les côtes et dans les îles de l’Océan Pacifique, le portrait de Mme Récamier, cette aimable amie de Mme de Staël, auprès de laquelle j’avais eu le bonheur de vivre longtemps. Il était peint sur verre par une main chinoise assez délicate. »
  2. Amélie-Marianne de Hesse-Hombourg, femme du prince Guillaume et belle-sœur du roi.