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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

parti républicain et fait des mécontents dans presque tous les autres partis[1]. La licence règne à Paris, l’anarchie dans les provinces ; les autorités civiles et militaires se combattent ; ici on menace de brûler les châteaux et d’égorger les prêtres ; là on arbore le drapeau blanc et on crie Vive le roi ! Attaqué, Bonaparte recule ; il retire à ses commissaires extraordinaires la nomination des maires des communes et rend cette nomination au peuple. Effrayé de la multiplicité des votes négatifs contre l’Acte additionnel, il abandonne sa dictature de fait et convoque la Chambre des représentants en vertu de cet acte qui n’est point encore accepté. Errant d’écueil en écueil, à peine délivré d’un danger, il heurte contre un autre : souverain d’un jour, comment instituer une pairie héréditaire que l’esprit d’égalité repousse ? Comment gouverner les

  1. La surprise et le mécontentement furent universels. Un témoin peu suspect, Thibaudeau, a dit : « L’effet fut prompt comme la foudre ; à l’enthousiasme des patriotes succéda incontinent un froid glacial ; ils tombèrent dans le découragement, ne prévirent que malheurs et s’y résignèrent. » (Le Consulat et l’Empire, t. X, p. 325-326). — Un Anglais, présent alors à Paris, et qui, en sa qualité d’étranger, était un spectateur impartial du mouvement des idées et des faits, M. Hobbouse, d’ailleurs favorable à Napoléon, rend le même témoignage : « Je ne me rappelle pas, dit-il, avoir vu dans l’opinion un changement pareil à celui qui eut lieu à Paris, lorsque parut l’Acte additionnel. » (Lettres sur les Cent-Jours.) Les bonapartistes eux-mêmes étaient loin d’être satisfaits. « Les napoléonistes autoritaires, dit M. Henry Houssaye (1815, tome I, p. 546), déplorèrent ces concessions libérales. Ils dirent que l’empereur en transigeant avec l’anarchie faiblissait et s’affaiblissait, ils le regardèrent comme perdu. » — Voir Alfred Nettement, Histoire de la Restauration, tome II, p. 282 ; Benjamin Constant, Mémoires sur les Cent-Jours, tome II, 70-71 ; Mémoires de La Fayette, tome V, 420 ; Villemain, Souvenirs contemporains, tome II, 182-183.