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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sapin qui faisaient le portique de la faisanderie. Un renard, en me rappelant ceux du mail de Combourg, sortait par un trou pratiqué dans le mur de la réserve, venait me demander de mes nouvelles et se retirait dans son taillis.

Ce qu’on nomme le parc, à Berlin, est un bois de chênes, de bouleaux, de hêtres, de tilleuls et de blancs de Hollande. Il est situé à la porte de Charlottenbourg et traversé par la grande route qui mène à cette résidence royale. À droite du parc est un Champ de Mars ; à gauche des guinguettes.

Dans l’intérieur du parc, qui n’était pas alors percé d’allées régulières, on rencontrait des prairies, des endroits sauvages et des bancs de hêtre sur lesquels la Jeune Allemagne avait naguère gravé, avec un couteau, des cœurs percés de poignards : sous ces cœurs poignardés on lisait le nom de Sand[1]. Des bandes de corbeaux, habitant les arbres aux approches du printemps, commencèrent à ramager. La nature vivante se ranimait avant la nature végétale, et des grenouilles toutes noires étaient dévorées par des canards, dans les eaux cà et là dégelées : ces rossignols-là ouvraient le printemps dans les bois de Berlin. Cependant, le parc n’était pas sans quelques jolis animaux : des écureuils circulaient sur les branches ou se jouaient à terre, en se faisant un pavillon de leur queue. Quand j’approchais de la fête, les acteurs re-

  1. Charles-Louis Sand (1795-1819), étudiant de l’Université d’Iéna, qui, le 23 mars 1819, à Manheim, avait assassiné le célèbre écrivain Auguste de Kotzebue, qu’il regardait comme le suppôt de l’absolutisme. Le capitaine Otto de Kotzebue, que nous avons vu tout à l’heure diriger l’expédition dans les mers du Nord, dont fit partie Chamisso, était le fils d’Auguste de Kotzebue.