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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

l’on appela la loi de justice et d’amour,[1] dut principalement sa chute à mes attaques. Mon Opinion sur le

    tés un projet de loi sur la presse, qui souleva immédiatement une très vive opposition. Dès le 11 janvier 1827, Charles Lacretelle proposa à ses confrères de l’Académie française de délibérer sur les moyens de faire parvenir au roi l’expression de leurs inquiétudes et de leur douleur. Le 16 janvier, il soumit à l’Académie la proposition d’une supplique au roi. La discussion s’ouvrit alors sur opportunité et la légalité de cette démarche. Fortement soutenu par MM. Lemercier, de Tracy, Villemain, Michaud, Andrieux, de Ségur, Brifaut et Raynouard, le projet d’adresse fut combattu par MM. Auger, Cuvier et Roger. M. de Lally-Tolendal demanda s’il était raisonnable d’espérer qu’on serait écouté : « Pourquoi faire une demande qui devait demeurer sans succès ? » Chateaubriand répondit que la conscience ne se déterminait point par les chances plus ou moins probables d’un résultat utile. « On risque tous les jours, dit-il, sa fortune et sa vie sans espoir de succès, et l’on fait bien : on remplit un devoir dont le résultat est au moins l’estime publique. » On alla aux voix. Sur vingt-neuf académiciens présents, dix-huit se prononcèrent pour le projet de supplique. La rédaction en fut confiée à MM. Lacretelle, Chateaubriand, Villemain. Le directeur, M. de Laplace, chargé de présenter la supplique, demanda à être reçu par le roi, mais l’audience ne fut pas accordée. « L’Académie, dit le Moniteur du 27 janvier, a décidé que la supplique qu’elle avait votée, et dont elle avait ordonné la transcription sur les registres, ne serait point publiée. » Histoire de l’Académie française, par Paul Mesnard, p. 305.

  1. Un article, sorti du ministère de la justice et publié dans le Moniteur du 5 janvier 1827, contenait ce passage : « Le discours de M. le garde des sceaux, pour exposer les motifs de la loi sur la liberté de la presse, avait rassuré tous les vrais amis de cette liberté. Si quelque chose vient encore effrayer les esprits, ce sont ces articles violents et calomniateurs qui, prévenant le débat, remplacent le calme des discussions par l’impétuosité des injures et demandent, dans leur dérisoire impartialité, que l’on forge des armes pour l’attaque et des chaînes pour la défense. La loi présentée veut être une loi de justice et d’amour. » Cette expression, singulièrement maladroite et fâcheuse, revint ricocher contre la loi, et lui fut désormais appliquée comme un sobriquet à la fois odieux et ridicule.