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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

M. Roy me vint apprendre le succès de sa négociation ; il ajouta : « Le roi désire que vous acceptiez une ambassade ; si vous le voulez, vous irez à Rome. » Ce mot de Rome eut sur moi un effet magique ; j’éprouvai la tentation à laquelle les anachorètes étaient exposés dans le désert. Charles X, en prenant à la marine l’ami que je lui avais désigné, faisait les premières avances ; je ne pouvais plus me refuser à ce qu’il attendait de moi : je consentis donc encore à m’éloigner. Du moins, cette fois, l’exil me plaisait : Pontificum veneranda sedes, sacrum solium. Je me sentis saisi du désir de fixer mes jours, de l’envie de disparaître (même par calcul de renommée) dans la ville des funérailles, au moment de mon triomphe politique. Je n’aurais plus élevé la voix, sinon comme l’oiseau fatidique de Pline, pour dire chaque matin Ave au Capitole et à l’aurore. Il se peut qu’il fût utile à mon pays d’être débarrassé de moi : par le poids dont je me sens, je devine le fardeau que je dois être pour les autres. Les esprits de quelque puissance qui se rongent et se retournent sur eux-mêmes sont fatigants. Dante met aux enfers des âmes torturées sur une couche de feu. M. le duc de Laval[1], que j’allais

  1. Le duc de Laval-Montmorency. Voy. sur lui, au tome II, la note 1 de la page 278 (note 36 du Livre Premier de la Deuxième Partie). — Le duc de Laval eût voulu garder son ambassade ; Chateaubriand en fut informé, et bien que lui-même désirât vivement être envoyé à Rome, il adressa au comte de La Ferronnays, ministre des Affaires étrangères, la lettre suivante :
    « Lundi 26 mai 1828.

    « Noble comte, en relisant votre lettre, j’ai vu que le duc de Laval éprouvait de vifs regrets de quitter Rome. J’ai su d’autre part qu’il avait manifesté les mêmes regrets à ses parents et à ses amis.

    « Pour rien au monde, je ne voudrais troubler la destinée