Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t4.djvu/429

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
413
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Elle l’avait d’abord haïe, mais dans la suite elle avait été vaincue par la beauté et le malheur. Madame de Genlis venait d’écrire cette page sur madame Récamier, en lui donnant le nom d’Athénaïs :

« Le prince entra dans le salon, conduit par madame de Staël. Tout à coup la porte s’entr’ouvre, Athénaïs s’avance. À l’élégance de sa taille, à l’éclat éblouissant de sa figure, le prince ne peut la méconnaître, mais il s’était fait d’elle une idée toute différente : il s’était représenté cette femme si célèbre par sa beauté, fière de ses succès, avec un maintien assuré, et cette espèce de confiance que ne donne que trop souvent ce genre de célébrité ; et il voyait une jeune personne timide s’avancer avec embarras et rougir en paraissant. Le plus doux sentiment se mêla à sa surprise.

« Après dîner on ne sortit point, à cause de la chaleur excessive ; on descendit dans la galerie pour faire de la musique jusqu’à l’heure de la promenade. Après quelques accords brillants et des sons harmoniques d’une douceur enchanteresse, Athénaïs chanta en s’accompagnant sur la harpe. Le prince

    ment de bien médiocre apparence et surtout bien mal tenu. Mme de Genlis était assise devant une table de bois de sapin, noircie par le temps et l’usage. Cette table offrait le bizarre assemblage d’une foule d’objets en désordre ; on y voyait pêle-mêle des brosses à dents, un tour en cheveux, deux pots de confitures entamés, des coquilles d’œufs, des peignes, un petit pain, de la pommade, un demi-rouleau de sirop de capillaire, un reste de café au lait dans une tasse ébréchée, des fers propres à gaufrer des fleurs en papier, un bout de chandelle, une guirlande commencée à l’aquarelle, un peu de fromage de Brie, un encrier en plomb, deux volumes bien gras et deux carrés de papier sur lesquels étaient griffonnés des vers. » Avant-Propos des Mémoires de Mme de Genlis.