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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

prames gagnent le large ; Murat était trahi. Il court à un bateau échoué ; il essaye de le mettre à flot ; le bateau reste immobile. Entouré et pris, Murat, outragé du même peuple qui se tuait naguère à crier : « Vive le roi Joachim ! » est conduit au château de Pizzo. On saisit sur lui et ses compagnons des proclamations insensées : elles montraient de quels rêves les hommes se bercent jusqu’à leur dernier moment.

Tranquille dans sa prison, Murat disait : « Je ne garderai que mon royaume de Naples : mon cousin Ferdinand conservera la seconde Sicile. » Et dans ce moment une commission militaire condamnait Murat à mort. Lorsqu’il apprit son arrêt, sa fermeté l’abandonna quelques instants ; il versa des larmes et s’écria : « Je suis Joachim, roi des Deux-Siciles ! » il oubliait que Louis XVI avait été roi de France, le duc d’Enghien petit-fils du grand Condé, et Napoléon arbitre de l’Europe : la mort compte pour rien ce que nous fûmes.

Un prêtre est toujours un prêtre, quoi qu’on dise et qu’on fasse ; il vient rendre à un cœur intrépide la force défaillie. Le 13 octobre 1815, Murat, après avoir écrit à sa femme, est conduit dans une salle du château de Pizzo, renouvelant dans sa personne romanesque les aventures brillantes ou tragiques du moyen âge. Douze soldats, qui peut-être avaient servi sous lui, l’attendaient disposés sur deux rangs. Murat voit charger les armes, refuse de se laisser bander les yeux, choisit lui-même, en capitaine expérimenté, le poste où les balles le peuvent mieux atteindre.

Couché en joue, au moment du feu, il dit : « Soldats, sauvez le visage ; visez au cœur ! » Il tombe, tenant