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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Gourgaud et de Las Cases[1], volontaires et généreux passagers sur la planche submergée. Par un article des instructions du capitaine, Bonaparte devait être désarmé : Napoléon seul, prisonnier dans un vaisseau, au milieu de l’Océan, désarmé ! quelle magnifique terreur de sa puissance[2] ! Mais quelle leçon du ciel

    suivantes). Il a, en outre, fait paraître, en 1847, deux volumes intitulés : Récits de la captivité de l’empereur Napoléon à Sainte-Hélène.

  1. Marin-Joseph-Emmanuel-Auguste-Dieudonné, comte de Las Cases (1766-1842). Lieutenant de vaisseau quand éclata la Révolution, il émigra, servit à l’armée des princes et fit partie de l’expédition de Quiberon. Rentré en France après le 18 brumaire, il composa un Atlas historique et géographique, qu’il publia sous le pseudonyme de Le Sage (1803-1804) et qui eut un grand succès. Napoléon le fit baron, puis comte, maître des requêtes au Conseil d’État et chambellan. Pendant les Cent-Jours, l’empereur l’attacha de plus en plus étroitement à sa personne, et Las Cases le suivit de l’Élysée à la Malmaison, à Rochefort, enfin à Sainte-Hélène. Le 27 novembre 1816, le gouverneur Hudson-Lowe l’expulsa de l’île. Ce ne fut qu’après la mort de Napoléon qu’il put rentrer en France, où il publia, avec un immense succès (1822-1823) son Mémorial de Sainte-Hélène, ou Journal où se trouve consigné, jour par jour, ce qu’a dit et fait Napoléon pendant dix-huit mois.
  2. Napoléon ne fut point désarmé. Selon M. Thiers (T. XX, p. 573), « au moment de passer du Bellérophon au Northumberland, l’amiral Keith, avec un chagrin visible et du ton le plus respectueux, adressa ces paroles à l’Empereur : Général, l’Angleterre m’ordonne de vous demander votre épée. — À ces mots Napoléon répondit par un regard qui indiquait à quelles extrémités il faudrait descendre pour le désarmer. Lord Keith n’insista point, et Napoléon conserva sa glorieuse épée. » Cette scène est une pure fiction ; elle se trouve même contredite par le comte de Las Cases, dans son Mémorial, où il dit : « Je demandai s’il serait bien possible qu’on pût en venir au point d’arracher à l’Empereur son épée. L’amiral répondit qu’on la respecterait, mais que Napoléon serait le seul, et que tout le reste serait désarmé. » Napoléon garda donc son épée, et à leur arrivée à Sainte-Hélène ses compagnons recouvrèrent la leur.