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Suite de À une Pâquerette des Champs écrasée sous la Charrue (Avril 1786).


Les fleurs qui font jabot dans nos riches jardins
Sont mises à l’abri des vents et de l’orage,
Par les arbres, les murs voisins ;
Toi simple fleur des champs, tu n’as pour ton partage,
Qu’une motte de terre en guise d’oreiller,
Ou qu’un caillou poudreux que tu sais émailler.

Là, modeste et drapée en ton humble manteau,
Etalant au soleil ta poitrine de neige,
Tu fixais ton regard si beau
Sur l’astre radieux qui réchauffe et protège,
Lorsque — destin fatal ! voilà soudain mon soc
Qui t’arrache à ton lit, en écrasant ton roc.

De naïve fillette, hélas ! tel est le sort :
Modeste fleur éclose à l’ombre du village,
Elle croissait sans nul effort
L’orgueil de se parents, aussi belle que sage,
Quand un vil séducteur sut lui ravir son cœur,
Pour la jeter bien bas, souillée et sans honneur !

Tel est souvent aussi le misérable sort
Du Barde, s’il est né sous une sombre étoile,
En vain veut-il gagner le port,
Que peut-il ? inhabile à diriger la voile ?
Jouet des vents, hélas ! forme-t-il un radeau,
Le voilà qui chavire, et lui creuse un tombeau.

Tel est encor le sort du mérite souffrant,
En lutte ouverte avec les besoins de la vie,
Il bataille persévérant
Jusqu’à ce que vaincu par l’intrigue et l’envie,
Sans soutien que le ciel, en son affreux destin
De misère en misère il succombe à la fin !

Et moi qui m’attendris sur toi, petite fleur,
Je subirai ton sort ma pauvre Pâquerette,
Et bientôt le soc du malheur
Labourera mes flancs sur ma rude couchette,
Jusqu’à tant qu’écrasé sous ce sillon rongeur
Je tombe jeune encor broyé par la douleur !