Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/125

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  Or messire, et vous, messire[1], il advint
qu’un jour Nicolas le gracieux
se mit à folâtrer et à s’ébaudir avec la jeune femme,
tandis que son mari était à Oseneye[2],
(les clercs sont gens tant subtils et malins),
et, seul à seule, il la prit par son vous savez quoi
et dit : « Certes, si je n’ai mon désir,
pour mon secret amour de toi, m’amie, je vais périr. »
Et il la tint étroitement par les hanches
3280et dit : « M’amie, aime moi tout de suite
ou je mourrai, sur mon salut ! »
Elle regimba comme fait pouliche en son tref[3]
et vivement détourna la tête
et dit : « Je ne te baiserai point, par ma foi ;
voyons, laisse-moi, (dit-elle), laisse-moi, Nicolas,
ou bien je crie haro ! et hélas !
Otez vos mains par charité. »
Nicolas se mit à implorer compassion,
parla si doucement et se fit si pressant
3290qu’enfin elle lui bailla son amour,
et fit serment par saint Thomas de Kent
qu’elle se tiendrait à ses ordres
sitôt qu’elle pourrait saisir son heure.
« Mon mari est si plein de jalousie
que si vous ne veillez bien, et ne gardez le secret,
je sais bien que je suis une femme morte (dit-elle).
Il faut que vous soyez très discret dans l’affaire. »
— « Va, quant à cela, sois tranquille (lui dit Nicolas).
Le clerc aurait bien mal employé son temps
3300qui n’en saurait assez pour tromper un charpentier. »
Ainsi se mettent-ils d’accord et jurent
de guetter l’occasion, comme j’ai dit plus haut.
Quand Nicolas eut achevé sa besogne
et qu’il lui eut bien caressé la croupe,
doucement il la baisa, puis il prend son psaltérion,
et joue à force, et fait mélodie.

  1. Le texte est obscur. Il semble que le meunier s’adresse tour à tour à deux des pèlerins.
  2. Oseneye, faubourg d’Oxford où il y avait une abbaye de chanoines augustins.
  3. Tref ou travail, machine où on met les chevaux pour les ferrer.