Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/133

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vers le jardin au-dessus de l’étable,
afin que librement nous passions notre chemin
lorsque la grande averse sera finie,
alors tu flotteras aussi gaîment, j’en réponds,
que la cane blanche après son canard.
Alors j’appellerai : « Eh ! Alison ! Eh ! Jean !
Soyez en joie, car bientôt le déluge passera. »
Et tu diras : « Salut, maître Nicolet,
3580bonjour, je te vois bien, car il fait jour. »
Et alors nous serons seigneurs pour la vie
de tout le monde, ainsi que Noé et sa femme.
Mais d’une chose je te préviens bien :
prends bien soin ce soir-là,
quand nous serons entrés dedans nos barques,
qu’aucun de nous ne dise mot,
n’appelle, ni ne crie, mais soit à ses prières,
car c’est la chère volonté de Dieu lui-même.
Ta femme et toi vous vous suspendrez loin l’un de l’autre,
3590car entre vous ne doit être péché
non plus de regard que de fait.
C’est là l’ordre donné, va-t’en, et Dieu te garde !
Demain soir, lorsque chacun dormira,
nous nous glisserons dans nos huches à pétrir,
et nous y resterons, attendant la grâce de Dieu.
Or va-t’en, je n’ai plus le temps
de te sermonner davantage.
On dit : Procure le moyen et ne dis rien ;
tu es si avisé qu’il n’est pas besoin de te donner d’instructions ;
3600va, sauve notre vie, voilà de quoi je te prie. »


    Notre sot charpentier s’en va donc son chemin,
très souvent il dit : « hélas ! » et « ô malheur ! »
et à sa femme il confie son secret.
Elle était au fait, et savait mieux que lui
ce que toute cette curieuse manigance voulait dire.
Mais pourtant elle fit comme si elle allait mourir
et dit : « Hélas ! mets-toi donc vite en route,
aide-nous à nous sauver ou nous sommes tous perdus ;
je suis ta fidèle femme par légitime mariage ;
3610va, cher époux, et aide-nous à sauver notre vie. »