Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/134

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    Voyez la puissante chose qu’est l’amour !
On peut mourir d’imagination,
si profonde peut être l’impression qu’on ressent.
Notre sot charpentier se met à trembler ;
il lui semble vraiment voir venir
le déluge de Noé, roulant ses eaux comme la mer,
pour noyer son trésor chéri, son Alison.
Il pleure, il gémit, il fait triste mine,
il soupire, poussant maint triste grognement.
3620Il s’en va chercher une huche à pétrir,
et puis une cuve et un cuvier,
et en secret il les envoya en son logis
et les pendit a son toit bien secrètement.
De sa propre main il fit trois échelles,
pour grimper & l’aide des échelons et des montants
jusqu’aux cuves pendues aux poutres ;
et puis il approvisionna et huche et cuve
de pain et de fromage, et de bonne ale dans une jarre
en ample suffisance pour une journée.
3620Mais avant qu’il eût fait tous ces préparatifs,
il envoya son valet et sa servante aussi
à Londres, pour voir à ses affaires.
Et le lundi, comme le soir venait,
il ferma sa porte, sans chandelle,
et prépara chaque chose ainsi qu’il convenait ;
et bref, ils grimpèrent tous trois.
Ils restent silencieux le temps au moins de faire cent toises.
« Maintenant, Pater noster, chut ! » dit Nicolet,
et « Chut » dit Jean, et « Chut » dit Alison.
3640Le charpentier entre en dévotion,
il se tient coi et récite ses prières,
l’oreille au guet pour entendre la pluie.
Un sommeil de plomb, pour son labeur lassant,
s’empara du charpentier, juste, je pense,
environ l’heure du couvre-feu ou un peu plus tard ;
l’esprit en peine, il pousse de profonds soupirs,
et entre temps il ronfle, car sa tête est mal posée.
Lors en bas de l’échelle descend Nicolet
et Alison tout doucement dévale ;
3650sans plus de paroles ils s’en vont se coucher