Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/143

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Il sait bien dans mon œil découvrir un fétu,
3920 mais dans son œil à lui il ne voit point la poutre.



Conte de l’Intendant[1].


Ici commence le conte de l’Intendant


À Trumpington, non loin de Cantebridge[2],
passe un ruisseau et, par-dessus, un pont,
et sur ledit ruisseau est assis un moulin —
ce que je vous dis là c’est la vérité pure.
Un meunier l’habitait depuis un fort long temps.
Comme un paon il était orgueilleux et paré.
Cornemuser, pécher et réparer filets,
faire coupes au tour, lutter, tirer de Tare, a tout il s’entendait.
Pendue à sa ceinture il portait dague longue ;
3930 de son épée la lame avait tranchant aigu.
Joli poignard encore au fond de l’escarcelle.
Nul qui, pour le péril, eût osé le toucher.
Un couteau de Sheffield était dedans ses chausses.
Il avait face ronde, camus était son nez,
son crâne était pelé autant que l’est un singe.
Cet homme-là était un franc coureur de foires.
Là nul n’osa jamais porter la main sur lui
que meunier ne jurât qu’il le paierait sur l’heure.
Grand voleur — c’est le vrai — de grain et de farine,
3940 rusé voleur aussi et fait au filouter.
Ce meunier avait nom Sinquin[3] le dédaigneux.
Il avait une femme, issue de noble race.

  1. Chaucer a repris ici le sujet de deux fabliaux, De Gombert et des .II. clers et Le Meunier et les .II. clers (A. de Montaiglon, Recueil général et complet des Fabliaux des XIIIe et XIVe siècles, I, 238, V, 83), sujet repris également par Boccace dans son Décaméron (nouvelle VI de la IXe journée), d’où La Fontaine, à son tour, a tiré le conte du Berceau (IV, 202). Plusieurs éditeurs écrivent que le même sujet est traité dans les Cent Nouvelles nouvelles (sans préciser davantage) et dans le Parangon des nouvelles (nouv. 30), mais nos recherches dans ces recueils ont été vaines. Il y a, dit Skeat, dans Hazlitt’s Popular Poetry (III, 98), un conte intitulé A mery lest of the Mylner of Abyngton wilh his Wife and his Daughter, and the two povre Scholers of Cambridge, qui serait tiré du conte de Chaucer.
  2. Vieille forme de Cambridge.
  3. Diminutif de Simon.