Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/152

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Alain, quand l’aube vint, se trouva fatigué,
car il avait peiné toute cette longue nuit.
Il dit alors : « Adieu, Madelon, amie douce ;
voici te jour venu, je ne puis demeurer.
Mais, pour la vie, a pied, à cheval, en tous lieux,
je suis, sur mon salut, ton clerc tout dévoué. »
4240 — « Va donc, bel ami doux, dit-elle, va, adieu !
Mais, avant que tu partes, un mot veux-je te dire.
Quand tu t’éloigneras, passant près du moulin,
à l’huis qui est derrière, là, tout près de l’entrée »
tu verras un gâteau d’un bon demi-boisseau
fait de ton propre blé,
que j’ai moi-même aidé mon père à te voler.
Et, bel ami, dit-elle, Dieu te sauve et te garde ! »
Et à ces mots peu s’en faut qu’elle ne pleure.

Alain se lève et pense : « Devant que le jour crève,
4250 je vais me mettre au lit près de mon compagnon ;
et voilà que sa main a trouvé le berceau.
« Pardieu, réfléchit-il, je me trompais d’adresse.
J’ai la tête qui tourne d’avoir tant besogné,
et c’est là ce qui fait que je ne vais pas droit.
Je vois bien au berceau que je suis fourvoyé :
c’est là que sont couchés le meunier et sa femme. »
Et d’aller de ce pas, que le diable l’emporte !
vers le lit dans lequel est couché le meunier :
il croit se mettre au lit près de son ami Jean,
4260 et c’est près du meunier que le galant se boute.
Il le prend par le cou et lui parle tout bas :
« Ehl Jean, éveille-toi, eh ! tête de mulet,
eh ! par le sang du Christ, et écoute un bon tour,
car, vrai, par ce seigneur que l’on nomme saint Jacques,
j’ai par trois fois, en cette courte nuit, joui
de la fille au meunier étendue sur le dos,
tandis que dans ton lit tu tremblais en poltron. »
— « Ah ! faux ribaud, dit le meunier, vraiment ?
Ah ! faux traître ! faux clerc !
4270 tu mourras tout à l’heure, par la vertu de Dieu,
toi qui fus si osé que de déshonorer
ma fille qui sortit de si haute lignée. »