Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/156

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pour en avoir mangé avec ton oie grasse,
pource qu’en ta boutique il vole mainte mouche[1].
Allons, gentil Roger, allons, par ton surnom,
si je t’ai plaisanté ne te courrouce point :
toute vérité passe quand on rit et plaisante. »
— « Tu as dit vérité, dit Roger, par ma foi.
Mais plaisanterie vraie, méchante plaisanterie, comme dit le Flamand[2].
Et, par conséquent, Henry Bailly, sur ta foi,
ne te courrouce pas avant qu’on se sépare,
4360si c’est d’un hôtelier qu’il s’agit en mon conte.
Mais ce n’est pas celui qu’encore je veux conter.
Mais avant qu’on se quitte, vrai, tu auras ton compte. »
À ce propos notre homme rit et s’égaya fort,
puis il conta son conte et vous l’allez ouïr.


Ainsi finit le prologue du conte du Cuisinier.


Conte du Cuisinier.


Ici commence le conte du Cuisinier.


Jadis en notre ville était un apprenti
d’une corporation de marchands vitailleurs[3].
Le drôle était gaillard comme pinson au bois,
aussi brun qu’une mûre — joli petit bout d’homme.
Ses cheveux étaient noirs et peignés avec soin.
4370Il était bon danseur, et danseur si joyeux
qu’on l’avait surnommé Pierquin le Révéleux[4].
Il était plein d’amour et de galanterie
autant que de doux miel est une ruche emplie.
C’était contentement pour celle qui l’avait !
A tous les mariages il dansait et sautait.
Le galant aimait mieux taverne que boutique.
Car, lorsqu’il y avait dans Chepe[5] chevauchée,

  1. Insinuation qu’il se trouvait des mouches dans la farce persillée de l’oie.
  2. Ce qu’un vieux fabliau exprime ainsi : « N’est si mal gas (gab, cf. gaber)
    comme le voir (vrai) » A. de Monlaiglon, Fabliaux, VI, p. 96.
  3. Marchands de victuailles.
  4. Ou Pierrot le fringant.
  5. Le marché, aujourd’hui Cheapside, rue de Londres.