Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/25

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prise final. Le conte sera donc excellent, simplement s’il a été adroitement conduit et s’il est écrit avec élégance ou vivacité. Mais le même récit peut encore être envisagé relativement au conteur. Dans ce cas l’auteur a pour consigne de se dérober, de sacrifier ses goûts propres, son intelligence, sa façon de juger, afin de céder la place à un second qui peut être ignorant, maladroit, sot, grossier, ou bien mû par des enthousiasmes ou des préjugés que le poète ne partage pas. Du même coup l’intérêt du lecteur tend à se déplacer ; il passe de l’histoire, de sa matière, de l’adresse du tour ou des charmes du langage, à la façon dont le conte adhère au personnage fictif qui a charge de nous le dire, qui demeure en scène, seul visible, et paraît endosser la responsabilité de ce qu’il narre. Chaucer a déduit la plupart des conséquences de ce principe dans les parties de son œuvre auxquelles il a pu mettre la dernière main. Il a eu grand soin de laisser se révéler le conteur en introduisant dans plus d’un conte des hors-d’œuvre, des digressions qui en rompent la ligne droite, mais par où s’écoule la science, le bavardage ou la manie de celui qui parle. Certes le conte n’est plus toujours, dans l’abstrait, si bon, si rapide, si lestement et habilement tourné qu’il pourrait l’être, ni si souvent relevé de spirituels mots d’auteur. Ce n’est plus autant un absolu ; c’est une partie dans un ensemble complexe et qui ne peut être jugée que par rapport à cet ensemble. Ainsi, pris à part, le conte de la Bourgeoise de Bath est inférieur en aisance, en dextérité et en brillant à Ce qui plaît aux Dames de Voltaire. Mais le conte tel qu’il est dans Chaucer ne sort pas de la bouche du poète ; il émane d’une commère qui y met sa philosophie de la vie et s’en fait un argument ; il lui sert à proclamer son idée des rapports entre mari et femme. Vu de cette manière, il prend une richesse et un comique qui font paraître minces et sans portée les vers agiles du poète français. D’ailleurs ce conte n’est ici que parcelle — la moins importante et savoureuse — de cette immense confession que nous fait la Bourgeoise. Du rôle principal il a passé à celui d’accessoire.

Le conte du Pardonneur gagnerait certes en vivacité d’allure s’il s’allégeait de certaine parenthèse de deux cents vers, vraie