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LES CONTES DE CANTERBURY.

Et ainsi, avec ses flatteries feintes et ses tours,
il faisait du pasteur et du peuple ses dupes.
Mais s’il faut dire vrai, pour finir,
il était à l’église un noble ecclésiastique.
Il savait bien lire une épître ou une légende,
710mais surtout il chantait bien un offertoire.
Car il le savait bien, ce verset une fois chanté,
il devrait prêcher, et bien affiler sa langue,
pour gagner de l’argent, ce à quoi il s’entendait fort ;
c’est pourquoi il chantait si gaiement et si haut.

    Maintenant je vous ai dit brièvement, en quelques mots,
leur condition, leur apparence, leur nombre, et aussi la cause
pour laquelle s’était assemblée cette compagnie
à Southwark, dans cette bonne hôtellerie
qui s’appelait le Tabard, tout près de la Cloche.
720Mais maintenant il est temps que je vous dise
comment nous nous comportâmes cette même nuit
où nous étions descendus à cette hôtellerie.
Et ensuite je vous raconterai notre voyage,
et tout le reste de notre pèlerinage.
Mais d’abord je prierai votre courtoisie
de ne pas me l’imputer à vilenie,
si je parle tout franc, crûment* en cette matière,
vous racontant leurs dires et leurs gestes ;
ni si je répète leurs paroles à la lettre.
730Car vous le savez aussi bien que moi,
quiconque doit faire un récit d’après un autre,
doit répéter, d’aussi près que possible,
chaque mot, si sa tâche le demande,
tant grossièrement et librement dût-il parler ;
autrement, il est forcé de faire un récit menteur,
ou d’inventer les choses, ou de trouver des mots nouveaux.
Il ne peut s’abstenir, même si l’autre est son frère ;
il doit aussi bien répéter chaque mot que le reste.
Christ a parlé lui-même fort librement dans la Sainte Écriture,
740et vous le savez bien, ce n’est point là vilenie.
Platon aussi dit, à qui sait le lire,
que les mots doivent être les cousins des actes.
Je vous prie encore de me le pardonner,