Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


RHÉTORIQUE,
OU
DE L’INVENTION ORATOIRE.


PRÉFACE.


Il est assez singulier que la collection des Œuvres de Cicéron commence par deux traités de Rhétorique dont on lui conteste l’un et dont l’autre passe pour incomplet et mutilé. Si l’on veut pourtant se défendre de toute prévention défavorable, on reconnaîtra que la lecture de ces deux ouvrages n’est dépourvue ni d’intérêt ni d’utilité. Je laisse au traducteur de la Rhétorique à Hérennius le soin d’en faire l’apologie, Pour les deux livres de l’Invention, que, d’accord avec lui, on les regarde comme une édition nouvelle de ce premier ouvrage, ou, suivant une opinion plus répandue, comme un fragment d’une Rhétorique dont le temps nous a enlevé le reste, toujours est-il certain qu’ils appartiennent à Cicéron. C’est déjà un motif suffisant pour exciter la curiosité. Il est intéressant de suivre les premiers pas d’un orateur qui a porté si loin l’art d’écrire, de chercher dans ses premiers essais le germe de ce talent qui s’est développé depuis avec tant d’éclat. Sans doute je ne prétends pas que ce traité, qu’il regarde lui-même comme une ébauche imparfaite et grossière, échappée à sa jeunesse, approche de ces dialogues sur l’éloquence, où, avec toute l’autorité de l’âge et du talent, il donne des leçons de l’art qu’il avait cultivé pendant quarante ans avec tant de succès. Non, rien ici ne déguise l’ennui d’une longue suite de préceptes et l’aridité des formes didactiques. Mais ce n’est pourtant plus la sécheresse et la brièveté des deux premiers Livres de la Rhétorique à Hérennius. Le style a pris plus de nombre, plus d’éclat, plus d’harmonie ; le disciple d’Aristote s’est formé par la lecture de Platon. Il a conservé la méthode de son premier maître mais il y joint quelque chose de la diction brillante du plus éloquent des philosophes. Enfin, on retrouve assez souvent l’orateur dont on a déjà admiré quelques pages dans le quatrième livre de la Rhétorique à Hérennius ; et le préambule du premier livre, où l’écrivain recherche quels ont été l’origine et les progrès de l’éloquence, et les causes de sa corruption, ne déparerait aucun des ouvrages qui font le plus d’honneur à la plume de Cicéron.

Voilà pour l’intérêt : quant à l’utilité on doit se souvenir que les principes de l’art oratoire sont encore aujourd’hui ceux que les Romains avaient reçus des Grecs, dont le jeune rhéteur suit les traces presque pas à pas.


LIVRE PREMIER.

I. J’ai souvent examiné dans de longues méditations, si le talent de la parole et l’étude approfondie de l’éloquence ont été plus avantageux que nuisibles à l’homme et à la société. En effet, si je considère les maux qui ont déchiré notre patrie, si je me rappelle les catastrophes qui ont bouleversé autrefois les cités les plus florissantes, partout je vois la plus grande partie de ces malheurs causée par des hommes éloquents. Mais lorsque je veux, avec le secours de l’histoire, remonter à des époques plus reculées, je vois la sagesse, et plus encore l’éloquence, fonder des villes, éteindre les guerres, établir des alliances