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LES PARADOXES
DE M. T. CICERON
ADRESSÉS À M. BRUTUS


INTRODUCTION.

Nous avons cru devoir terminer par les Paradoxes le recueil des ouvrages de rhétorique de Cicéron, cet opuscule, comme le remarque judicieusement M. V. Leclerc, étant plutôt une étude oratoire qu’un traité de philosophie. Cicéron lui-même le donne comme un jeu d’esprit, un développement de lieux communs. Les maximes stoïciennes qu’il s’évertue à y exagérer ne convenaient pas à l’esprit souple, facile et sceptique de notre auteur, et la crudité de ces paradoxes jure avec le doux génie et les opinions humaines de celui qui, dans le pro Murena, avait ridiculisé ce qu’il défend ici.

Le nom de Paradoxes était donné par les stoïciens eux-mêmes à ces maximes étranges dont ils reconnaissaient les premiers le désaccord avec les opinions vulgaires, et où ils se plaisaient toutefois, pour cette originalité bizarre, qui, au milieu de toutes leurs belles qualités était leur manie.

Cicéron en soutient six, dont la plus étrange et la plus insoutenable (3e paradoxe) est que toutes les bonnes actions ont le même mérite, et qu’il n’y a non plus aucune différence entre les mauvaises.

Les cinq autres ont un certain fond de vérité qui aurait pu fournir de belles inspirations et de beaux développements mais Cicéron parait n’en avoir fait que des textes de déclamations, où son naturel ne se montre que par d’amères diatribes contre ses ennemis et des éloges trop pompeux de lui-même.

Les deux premiers paradoxes se ressemblent beaucoup et n’en sont véritablement qu’un. Le premier établit, que le seul bien, c’est l’honnête et le second, que rien ne manque à l’homme vertueux pour le bonheur. Le premier est traité avec gravité, et reçoit un certain lustre des exemples des vieux Romains. Cicéron glisse sur le second, invective en passant contre Marc Antoine, et prend en lui-même l’exemple de l’homme vertueux.

Le troisième est cette incroyable maxime, que toutes les bonnes actions aussi bien que les mauvaises, sont égales.

Cicéron la croit ou feint de la croire salutaire aux mœurs, quoique certainement entre le rôle de Solon et celui de Dracon, il eût choisi le premier. Il est triste de le voir se débattre contre cette terrible objection, qu’il a le courage d’aborder c’est donc le même crime, de tuer son esclave ou son père ?

Le quatrième paradoxe est la formule superbe du mépris du stoïcien pour le commun des hommes. Ne pas avoir l’esprit du sage ou du stoïcien, ce qui revient au même, c’est être en démence. Il y a au début quelques beaux traits ; mais Cicéron avait dès le premier mot pris Clodius à partie, et toute la suite est une chaleureuse et tardive invective contre le tribun qui avait envoyé en exil l’énergique consul et le défenseur de Milon.

Les deux derniers établissent, non sans raison, que la sagesse donne la liberté et la richesse. Le développement du cinquième est la meilleure partie de tout cet exercice. Cicéron s’y attaque encore à M. Antoine ; mais il emprunte à la philosophie morale de la Grèce de grandes pensées, dont il est le digne interprète. Le sixième est solidement défendu, et notre auteur y peut parler de lui avec plus de bienséance. Mais, comme si le principal effet de ces Paradoxes eût été de remuer sa bile il sent encore le besoin de philosopher sur le ton de la satire, et Crassus est traité avec non plus de ménagement que les Antoine et les Clodius.

Cicéron, comme il le témoigne lui-même à la fin de sa courte introduction, n’attachait pas grande importance à ces amplifications, qui sentent un peu leur rhéteur. Il a enrichi d’assez beaux ouvrages les lettres et la philosophie, pour que nous laissions les paradoxes au rang très secondaire où l’intention et l’estime de leur auteur les ont placés.

Il résulte du préambule même des Paradoxes, que ces petites pièces venaient d’être précédées d’un plus grand ouvrage composé pendant l’hiver, et qui parut sous le nom de Brutus ; in tuo nomine apparuit. S’il s’agit du Brutus ou Dialogue des orateurs illustres écrit à la fin de 706 ou au commencement de 707, les Paradoxes auraient été composés au printemps de 707 s’il s’agit, au contraire, d’un des quatre grands traités adressés à Brutus, l’Orateur, le livre de Finibus, les Tusculanes et la Nature des Dieux, il paraît impossible de fixer la date des Paradoxes.


J’ai souvent remarqué, Brutus, que Caton, votre oncle, lorsqu’il prenait la parole dans le sénat, traitait de graves sujets de philosophie, fort étranges pour les oreilles romaines, et parvenait cependant par ses discours à donner à ses thèses la couleur de la vraisemblance. Et pour lui, c’est une plus grande affaire que pour vous ou pour nous ; car nous faisons, nous, plus d’usage de cette philosophie, qui ouvre à la