Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/713

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maintenir notre âme sous le frein, cela dépend de nous. Lorsque dans son jeu un acteur excède la mesure, lorsqu’il fait un vers trop long ou trop court d’une syllabe, il est sifflé et chassé ; et vous, acteur dans la vie, qui devez y porter plus de convenance que n’en demande le théâtre, plus de mesure que n’en réclame le vers, direz-vous que vos fautes ne sont que des syllabes de plus ou de moins ? Je n’excuse point un poète qui s’est trompé dans des bagatelles, et j’excuserais dans le monde an citoyen qui mesurera ses fautes sur ses doigts ! Trouvez-les brèves si vous voulez, mais vous ne pourrez les trouver légères ; car toute faute, quelle qu’elle soit, est une perturbation de la raison et de l’ordre ; et dès qu’une fois la raison et l’ordre sont troublés, il ne se peut rien ajouter qui augmente la faute.

IVe PARADOXE.

Que, point de sagesse, c’est démence.

Ce n’est plus de ta fréquente sottise, ni de ta perpétuelle scélératesse que je veux te convaincre ; mais je te prouverai sans réplique que tu es un insensé et un homme en démence.

L’âme du sage fortifiée par une exquise prudence, une inébranlable fermeté, le mépris de la fortune, par toutes les vertus en un mot, sera-t-elle jamais forcée et prise d’assaut dans des tels retranchements, quand on ne peut pas même la jeter dans l’exil ? Qu’est-ce en effet que la vraie cité ? Est-ce toute réunion, même de bêtes féroces ? est-ce toute multitude, même de fugitifs et de brigands, rassemblés en un même lieu ? Certainement non. Il n’y avait donc pas de cité, alors que les lois y étaient sans autorité, que la justice y était muette, les usages antiques, abolis, et que le fer, après avoir dispersé les magistrats, laissait vide la place du sénat au milieu de la république. Ce ramas de bandits, ce brigandage constitué sous tes enseignes en plein forum, ces débris de la conjuration de Catilina, passant de ses débordements impies à tes abominables fureurs, tout cela n’était point Rome. Je n’ai donc pas été banni d’une cité qui n’existait pas ; mais Rome m’appela lorsqu’il y eut un consul dans la république, qui n’en avait plus à cette funeste époque ; lorsqu’il y eut un sénat, qui alors avait péri ; lorsque le peuple libre put se faire entendre ; lorsque reparurent l’équité et les lois, qui sont les liens de la cité.

Vois un peu combien j’ai méprisé les coups de ton ignoble fureur ; j’ai toujours pensé, il est vrai, qu’elle se déchaînait contre moi et me poursuivait de ses traits ; mais je n’ai jamais estimé qu’ils m’eussent atteint, à moins peut-être que tu n’aies cru, alors que tu portais dans ma maison des torches incendiaires et en renversais les murailles, livrer aux flammes et ruiner quelque chose qui fût à moi. Rien de ce qui m’appartient, rien de ce qui appartient à un homme, ne peut s’enlever, s’arracher, ou se perdre. Si tu m’avais enlevé ma fermeté éprouvée, mes soins, mes veilles, mes conseils, qui ont relevé et maintiennent la république, à ta grande douleur ; si tu avais détruit le souvenir impérissable de cet éternel bienfait ; bien plus encore, si tu m’avais ravi cet esprit d’où sont sortis tous ces conseils ; alors j’avouerais que j’ai éprouvé un vrai dommage. Mais si tu ne m’as fait ni pu faire tout ce mal, ce n’est pas un exil misérable que ton iniquité m’a infligé, mais un retour glorieux qu’elle m’a