Page:Claretie - Catissou, 1887-1888.djvu/5

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jardin, derrière la maison ; il y a une fenêtre à hauteur d’homme, qu’on fermait à volets, tous les soirs, et que ce soir-là, le brave homme, qui avait un peu chaud, laissait exprès entrouverte. Il lisait donc, sous l’abat-jour d’une petite lampe, et Catissou l’entendait tourner et retourner les pages de l’almanach. Elle m’a souvent dit qu’elle se sentait, tout en travaillant machinalement, un peu assoupie par ce bruit de papier, presque régulier, et par le tic-tac de la pendule ; — et voilà, tout à coup, que, levant la tête de dessus son ouvrage pour voir, en bâillant un peu, s’il n’était pas temps d’aller dormir, elle vit, — elle crut d’abord qu’elle se trompait, qu’elle rêvait, qu’elle avait le cauchemar, — elle vit, entre les battants des volets, passer, se glisser doucement, doucement, une main… une grosse main… mais une main étonnante… une main large, épaisse, avec quelque chose d’effrayant, quelque chose que Catissou remarqua tout de suite… une main dont les quatre doigts, presque aussi gros que le pouce, étaient tous égaux…tous de même taille… tous terminés comme si on avait tiré une ligne pour les couper… Et ils n’étaient pas coupés, ces doigts : ils avaient des ongles comme les doigts de tout le monde… seulement ils se terminaient comme ça, alignés affreusement, et, — c’est le mot du docteur Bouteilloux qui les a vus depuis, — spatulés… oui, c’est bien ça : spa-tu-lés… ce qui veut dire en forme de spatule…

« Et elle se glissait, je vous l’ai dit, le long des volets, cette affreuse main, comme une grosse araignée accrochée là avec ses pattes, et elle cherchait évidemment à pousser le volet sans faire de bruit. Elle restait même là maintenant presque immobile, comme si l’homme à qui appartenait cette main devinait, voyait que Catissou regardait.

« Un moment, Catherine crut qu’elle avait la berlue, que la lumière de la lampe lui avait trop tapé sur les prunelles et lui faisait voir quelque tache rouge ou noire, comme lorsqu’on a trop regardé le soleil. Elle les ouvrait, ses yeux, très effrayée, et, la main s’avançant, s’avançant, glissant sur le bois, — avec ces énormes doigts égaux, — Catissou alors, ne pouvant plus douter, voulut crier, mais elle se sentit le cou aussi serré que si cette grosse main l’eût étranglée. Elle ne trouvait pas un son dans sa gorge, pas un. Elle se leva, étendit le bras vers Coussac et, secouant son père par sa manche, elle lui montra, du côté de la fenêtre, la terrible main qui semblait grossir encore plus, et qui venait… venait… Mais, au moment même où le vieux Coussac, se retournant, allait,