Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/33

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de la nuit. Cependant, le signal est donné ; les flûtes éclatent, le gong tonne, les pétards pètent, les trois bateliers s’attellent à la longue godille. La barque part et vire, laissant dans le mouvement de son sillage une file de feux : quelqu’un sème de petites lampes. Lueurs précaires, sur la vaste coulée des eaux opaques, cela clignote un instant et périt. Un bras saisissant le lambeau d’or, la botte de feu qui fond et flamboie dans la fumée, en touche le tombeau des eaux : l’éclat illusoire de la lumière, tels que des poissons, fascine les froids noyés. D’autres barques illuminées vont et viennent ; on entend au loin des détonations, et sur les bateaux de guerre deux clairons, s’enlevant l’un à l’autre la parole, sonnent ensemble l’extinction des feux.

L’étranger attardé qui, du banc où il demeure, considère la vaste nuit ouverte devant lui comme un atlas, entendra revenir la barque religieuse. Les falots se sont éteints, l’aigre hautbois s’est tu, mais sur un battement précipité de baguettes, étoffé d’un continu roulement de tambour, le métal funèbre continue son tumulte et sa danse. Qui est-ce qui tape ? Cela éclate et tombe, finit, repart, et tantôt c’est un vacarme comme si des mains impatientes battaient la lame suspendue entre deux mondes, et tantôt avec solennité sous