Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’habite moi-même ce pays de sépultures, et, par un chemin différent, je regagne le sommet de la colline où est ma maison.

La ville se trouve au bas, de l’autre côté du large Min jaune qui, entre les piles du pont des Dix-Mille-Ages, précipite ses eaux violentes et profondes. Le jour, on voit, tel que la margelle des tombes dont j’ai parlé, se développer le rempart de montagnes ébréchées qui enserre la ville (des pigeons qui volent, la tour au milieu d’une pagode font sentir l’immensité de cet espace), des toits biscornus, deux collines couvertes d’arbres, s’élevant d’entre les maisons, et sur la rivière une confusion de trains de bois et de jonques aux poupes historiées comme des images. Mais maintenant il fait trop sombre : à peine un feu qui au-dessous de moi pique le soir et la brume, et, par le chemin que je connais, m’insinuant sous l’ombrage funèbre des pins, je gagne mon poste habituel, ce grand tombeau triple, noir de mousse et de vieillesse, oxydé comme une armure, qui domine obliquement l’espace de son parapet suspicieux.

Je viens ici pour écouter.

Les villes chinoises n’ont ni usines, ni voitures : le seul bruit qui y soit entendu quand vient le soir et que le fracas des métiers cesse, est celui de la voix humaine. C’est cela que je