Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/47

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viens écouter, car quelqu’un, perdant son intérêt dans le sens des paroles que l’on profère devant lui, peut leur prêter une oreille plus subtile. Près d’un million d’habitants vivent là : j’écoute cette multitude parler sous le lac de l’air. C’est une clameur à la fois torrentielle et pétillante, sillonnée de brusques forte, tels qu’un papier qu’on déchire. Je crois même distinguer parfois une note et des modulations, de même qu’on accorde un tambour, en posant son doigt aux places justes. La ville à divers moments de la journée fait-elle une rumeur différente ? Je me propose de le vérifier. — En ce moment, c’est le soir : on fait une immense publication des nouvelles de la journée. Chacun croit qu’il parle seul : il s’agit de rixes, de nourriture, de faits de ménage, de famille, de métier, de commerce, de politique. Mais sa parole ne périt pas : elle porte, de l’innombrable addition de la voix collective où elle participe. Dépouillée de la chose qu’elle signifie, elle ne subsiste plus que par les éléments inintelligibles du son qui la convoie, l’émission, l’intonation, l’accent. Or, comme il y a un mélange entre les sons, se fait-il une communication entre les sens, et quelle est la grammaire de ce discours commun ? Hôte des morts, j’écoute longtemps ce murmure, le bruit que fait la vie, de loin.

Cependant il est temps de revenir. Les pins