Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/86

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fourche, et toujours devant nous, d’une poussée volumineuse ouvrant largement la terre par le milieu, le fleuve interrompt d’une égale coupure l’horizon d’ouest.

Toute eau nous est désirable ; et, certes, plus que la mer vierge et bleue, celle-ci fait appel à ce qu’il y a en nous entre la chair et l’âme, notre eau humaine chargée de vertu et d’esprit, le brûlant sang obscur. Voici l’une des grandes veines ouvrières du monde, l’un des troncs de distribution de la vie, je sens marcher sous moi le plasma qui travaille et qui détruit, qui charrie et qui façonne. Et, tandis que nous remontons cela d’énorme qui fond sur nous du ciel gris et qu’engloutit notre route, c’est la terre tout entière que nous accueillons, la Terre de la Terre, l’Asie, mère de tous les hommes, centrale, solide, primordiale : ô abondance du sein ! Certes, je le vois, et c’est en vain que l’herbe partout le dissimule, j’ai pénétré ce mystère : comme une eau par sa pourpre atteste la blessure irrécusable, la Terre a imprégné celle-ci de sa substance : il n’est de rien matière que l’or seul.

Le ciel est bas, les nuées filent vers le Nord ; à ma droite et à ma gauche, je vois une sombre Mésopotamie. Point de villages ni de cultures ; à peine, çà et là, entre les arbres dépouillés, quatre, cinq huttes précaires, quelques engins de