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RICHARD WAGNER

dessous de tous les blasphèmes, de toutes les discussions et de toutes les théories, il est sauvé par cette voix qui l’appelle, la voix de la musique, cet accent du Paradis Perdu, cette proposition de mystère, le souvenir de Dieu, un appel d’une douceur et d’une tristesse déchirante! Et alors ce n’est pas seulement aux Filles-Fleurs et à Mathilde Wesendonk qu’il lui faut échapper, c’est aux thiases infiniment plus frénétiques et plus redoutables des artistes, des journalistes, des professeurs à lunettes et des pasteurs à fraises !

À gauche. — Vous oubliez le plus cruel ennemi de Wagner, Richard Wagner lui-même. Au moment même où Parsifal est représenté, il écrit Religion und Kunst et se livre dans les Bayreuther Blaetter à un débordement d’inepties.

À droite. — Le génie a souvent de tristes compagnons. Je pense à celui qui assumait souvent l’apparence de Richard Wagner, à ce nain clignotant, coiffé d’un béret de velours, affublé à la manière d’une vieille grue viennoise et bataillant avec une épée de théâtre pour le « Musique de l’avenir » contre des entrées de betteraves animées et de navets dansants ! Je pense à vous, mon cher Jules !

À gauche. — Merci !

À droite. — Quand l’art n’est plus là pour imposer sa règle terrible, quelques gambades sont excusables. Ça ne fait rien. Il a passé à travers ça, il a passé à travers le matérialisme et le bouddhisme et le protestantisme et le nationalisme et Schopenhauer et Kundry et les ennemis et les admirateurs ; il a dépassé le rêve et il a trouvé la présence réelle ! Il n’y a plus qu’à se mettre à genoux devant le Saint-Sacrement et à regarder, il va mourir, il communie ! Les extravagances mêmes de Parsifal, je ne lui en veux pas. C’est la boue des mauvais chemins dont le pauvre pèlerin est tout couvert.

À gauche. — J’ai plaisir comme vous à penser que les deux hommes, les deux incomparables amis à qui Wagner a dû son triomphe en ce monde sont deux catholiques, l’un l’abbé Liszt et l’autre le magnanime souverain de Bavière, Sa Majesté Louis II.

À droite. — Les grands hommes sont des paraboles vivantes. Ne peut-on penser que la vocation de Wagner est l’image de celle de l’Allemagne ? Son oreille est tendue à autre chose que