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LES HOMMES, LES DIEUX


Les mythes.


Pour nous achever, voici que la métaphore, légitime et magnifique opération de l’esprit, va créer et faire vivre les mythes en des aventures de rêves dont le pullulement et la confusion nous installeront au cœur d’un monde imaginaire où des conjugaisons de Dieux et de Déesses figureront des phénomènes cosmiques personnalisés[1]. La métaphore n’est rien qu’une comparaison plus ou moins suggestive, qui, par des évocations d’analogies, nous permet de substituer des mouvements de figures vivantes aux successions d’images venues de la sensation.

Point d’abstraction, point de métaphore, et notre pensée serait sans ailes, et notre langage articulé n’aurait pas conquis pour nous des hauteurs de domination. Cependant, il y a des contreparties de tout, et la beauté de cette prodigieuse envolée d’images vivantes se rachète par la difficulté de nous retenir sur les pentes des fictions, où trébuche notre raison raisonnante au contact des figures de sonorité.

Si nous en devons croire des auteurs, cette automystification du langage, signalée chez les peuples aryens, ne se rencontrerait pas au même degré dans les langues sémitiques à cause de la racine du mot, toujours dominante, qui ne permettrait pas l’illusion. Ici, ce serait l’idée de la Puissance abstraite sans forme, sans couleur, et, partant, sans images, qui resterait souveraine.

Je vois bien, en effet, que le sémitisme n’a point de mythes au sens hellénique du mot, et semble même, comme l’Asie primitive, proscrire les figurations — sa poésie aptère se refusant à cette transposition du rêve. Mais il n’en a pas moins personnifié la manifestation des phénomènes, séparément ou dans leur

  1. On s’est demandé si les peuples indo-européens ont eu les mêmes mythes originellement, je n’ai point à entrer ici dans une question qui demande des études approfondies d’histoire et de mythologie. Je le regrette d’autant plus qu’il en jaillirait nécessairement de vives lumières sur la formation mentale des peuples de premier rang dans l’ordre de la civilisation.