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LES HOMMES, LES DIEUX

nation de connaissances positives s’est définitivement imposée. On peut dire que, tous les jours, le soc de la charrue fait apparaître de nouvelles traces d’un passé où plongent les racines de notre vie cogitative. C’est l’homme qui se découvre lui-même dans l’acte des constructions mentales objectivant des aspects d’univers où les mouvements de son moi se trouvent englobés.

Faute de n’avoir pu saisir, dès le premier jour, les éléments, ni l’ensemble, nous avons dû nous en tenir à des conclusions hâtives sur le monde et sur nous-mêmes, hors desquelles nous n’aurions pu conduire nos premiers pas dans la vie primitive que des ancêtres, comme ceux de Néanderthal et de la Chapelle-aux-Saints, avaient inaugurée. Nous avons couru d’abord à la synthèse divine qui s’offrait à nos méconnaissances, et nous nous y sommes si bien attachés que les acquisitions fragmentaires de positivité ont dû s’y accommoder pour maintenir verbalement des conclusions de théologie dont les prémisses s’effritent sous nos pas.

L’état d’esprit de Max Muller et de Bunsen, à cet égard, est des plus significatifs. Incomparablement assoupli aux disciplines de l’observation, Max Muller est le véritable fondateur, aussi bien de la mythologie comparée que de la philologie comparée qui ne sont, au fond, qu’une seule et même science. Emporté par l’ardeur de sa recherche, il suit imperturbablement le filon des étymologies, prêt à toutes conclusions d’analyse, quitte à les raccorder, selon l’occasion, aux a priori de la synthèse divine dont il ne veut pas se séparer. On ne saurait douter de sa parfaite bonne foi. Mais combien plus obstinément s’empresse-t-il aux inférences de sa philologie qu’aux vulgaires formules des sous-penseurs experts dans l’art d’accommoder les contraires. À des moments choisis, il s’arrêtera pour poser une pierre milliaire de la Divinité, comme le petit Poucet jetait ses cailloux, en témoignage du chemin parcouru. Acquit de conscience envers le lecteur comme envers lui-même, sans qu’il s’attarde trop à distinguer.

Tout différemment procède Bunsen, généralisateur et philosophe autant que savant. Moins versé que Max Muller dans les profondeurs de sa philologie, il prend une éclatante revanche dans l’enchaînement, dans les développements de ses mythes à travers les âges chez les différents peuples, de l’histoire. Il