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AU SOIR DE LA PENSÉE

s’agit, pour lui, de retrouver « la conscience de Dieu » dans toutes les religions de la terre[1]. Qu’est-ce, exactement, que la conscience de Dieu ? On ne peut sauver la formule qu’à la condition de ne pas la préciser. Bunsen est un savant, d’esprit religieux, qui trouve et retrouve son Dieu en toutes choses, après l’y avoir préalablement installé. Il n’attendra pas même jusqu’à Socrate pour trouver l’unité dans la confusion des mythes helléniques. Et j’en suis, moi-même, à me demander si la fiction étrange de l’Inde, qui tenait momentanément pour la Divinité supérieure celle que tout hymne se faisait gloire d’invoquer, n’avait pas projeté jusque chez les Grecs quelque chose de cet accommodement universel de toutes les Divinités concurrentes dans la synthèse des énergies plus ou moins clairement déterminées. Le passage lointain du panthéisme polythéiste de l’Inde à la prolifération des Dieux de la Grèce, sous l’autorité de Zeus, laisse trop souvent dans l’obscurité les points de soudure, et la parenté même des noms divins révélée par la philologie n’emporte pas toujours l’identité de conceptions en perpétuels changements.

Ce que Bunsen appelle « la conscience de Dieu » dans des cultes qui s’excluent, c’est, au fond, l’idéalisme originel qui a successivement personnifié toutes les énergies du monde, distinguées par l’analyse ou confondues par la synthèse, en vue d’un traitement de magie cultuelle favorisé par l’omission de tout contrôle. Il se comprend donc, sans aucune peine, que Bunsen ait rencontré des signes d’un idéalisme originel jusque dans l’aride sécheresse de la religion romaine qui finit aux vilenies du culte impérial.

Si j’insiste sur les vues de Bunsen à cet égard, c’est que je ne les juge pas aussi éloignées qu’on pourrait croire des conceptions d’une philosophie expérimentale. Sans doute, nous serons toujours séparés par l’idée primaire d’une personnalisation des énergies mondiales, qui a conduit nos pères à de fâcheuses aberrations hors du cadre de l’expérience. Mais le panthéisme a si bien rapproché l’être et le non-être, le Je suis celui qui est de Jahveh du « Je suis ce qui est du Cosmos », que, par une suite de dégradations insensibles, notre rudimentaire Dieu biblique en viendra peut-être à s’atténuer, à se dissiper. La théologie ne

  1. Bunsen, Dieu dans l’histoire.