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LES HOMMES, LES DIEUX

sance humaine. Max Muller, traduisant Hésiode, éclaircit notablement le sujet quand il remarque que la formule archaïque, « Séléné tenait sous ses baisers Endymion assoupi », doit être simplement traduite en langage moderne par ces mots : « Il faisait nuit ». Rien n’éclaire mieux l’histoire des successions de phénomènes mentaux s’essayant aux interprétations du monde qui s’offre et se refuse en même temps. De premier élan, l’imagination ne pouvait nous apporter que des affabulations de métaphores, et dès que nous fûmes aux prises avec des personnalités surhumaines diversement caractérisées, notre animation évolutive s’installa dans le poème d’un rêve d’apothéose qui se substituait aux activités organiques de la vie pensante objectivement déterminée. De l’homme courbé sous la main impérieuse de ses Divinités volontaires, une immense épopée allait surgir, qui ne se proposait rien de moins, pour l’heur ou le malheur de nos jours, que la conquête de l’éternité. L’intervention du mythe a changé, dès l’abord, le sens même de la vie humaine. Il a pesé d’un poids mortel sur notre besoin, sur notre volonté de connaître, sur la liberté de notre œuvre de vérifications. Combien loin sommes-nous encore d’en être affranchis !

Je n’ai envisagé que l’heure poétique où le mythe apparut, alors que s’imposait, jusque dans la terreur de sa flèche ou de sa foudre, l’irrésistible séduction de sa jeune beauté. Osons le considérer tel qu’il se présentait, avec le charme du secours surhumain qui nous conquiert d’abord par les facilités d’un rêve hors des contre-parties de positivité. Plus tard, qui voudra réaliser aura besoin de connaître, c’est-à-dire de se prendre, non plus aux formes de nos fabrications subjectives mais à l’objectivité positive, pour vivre de déterminations contrôlées, au lieu de promener dans des palais de rêves des hallucinations de joies et d’épouvantes.

Apollon, l’un des innombrables Dieux solaires, a eu son jour à Délos et à Delphes[1]. Cependant, après avoir vainement

  1. La multiplicité des épithètes louangeuses prodiguées aux phénomènes personnifiés devait déterminer une prolifération de Divinités selon l’aspect sous lequel on les envisageait. Le soleil, remarque Michel Bréal, est, tour à tour, le brillant (Dyaus), l’ami (Mithra), le généreux, le bienfaisant, celui qui nourrit, le Créateur, le Maître du ciel, etc… Des multiplications de mots allaient susciter