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AU SOIR DE LA PENSÉE

avoir reçu tout fait le Dieu de Moïse — jadis exclusif apanage du peuple juif — n’ont pas su se débarrasser de la Trinité hindoue et de ses divines cohortes.

Sans images peintes ou sculptées — car, pour les grands émotifs de l’Asie, l’image est une trop grossière dégradation de l’invisible — synagogues et mosquées sont demeurées tout au Dieu Un[1], tandis que nos églises s’encombrent encore de figures d’un fétichisme tombé jusque dans le culte d’un cœur sacré qui aurait accompli, chez le Dieu, les fonctions que lui attribuait, dans l’homme, la langue des temps antérieurs aux observations de la biologie. Et pour n’être pas en reste, notre moutonnement laïque s’empresse-t-il encore d’attribuer un culte de Panthéon, au cœur de nos « grands hommes », en dépit de la science élémentaire qui met définitivement cet organe hors de cause dans les manifestations du sentiment aussi bien que de la volonté.

Renan, grand ecclésiastique de laïcité, a cru que le monothéisme répondait spontanément aux besoins des populations nomades. « Le désert est monothéiste », a-t-il dit, oubliant qu’il restait au moins la voûte céleste et ses astres à regarder. La religion des juifs aurait ainsi, selon lui, commencé par le monothéisme, « produit d’une race qui a peu de besoins religieux ». Rien ne paraît moins scientifiquement établi. Dans le désert, comme partout, l’homme a besoin du feu. Il n’y a pas de raison pour que les Sémites eussent échappé à la fatalité d’un culte du foyer, aussi bien que du soleil et de son satellite qui, au désert précisément, ne peuvent être oubliés. Lorsque Moise fut appelé au mont Horeb, « la forme de la gloire du Seigneur était, au sommet de la montagne, comme un feu ardent » devant les yeux des enfants d’Israël. Le feu de l’autel, les holocaustes, le chandelier à sept branches du tabernacle, ne sont-ils pas d’assez clairs prolongements du culte primitif ?

  1. La religion aryenne de Zoroastre, aussi, s’est passée d’images, comme le christianisme lui-même fut sur le point de faire avec Léon l’Isaurien. La Perse se trouvait trop proche du grand foyer sémitique (qui l’a finalement absorbée) pour n’en point subir l’influence. Son originalité fut surtout d’un agrandissement d’Ahriman (le Dieu du mal) jusqu’aux abords d’un dualisme de Divinités. Le Bouddhisme originel proscrivait ces images qui lui furent imposées par un retour du fétichisme populaire inspiré des sculptures hellénistiques du Gandhâra.