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AU SOIR DE LA PENSÉE

Là gît le véritable enchantement du feu terrestre, sa permanente vertu de réunion des deux sexes pour la fondation sociale d’une postérité. Aujourd’hui encore, qui parle de foyer dit la patrie familiale, dont le cœur de chacun garde l’émotion à jamais, dès ses premiers battements.

De mâle en mâle se perpétuera l’activité du chef de famille, continuateur du foyer des aïeux, et le culte de la famille entraînera le culte des morts qui l’ont fondée. Honorés, puis divinisés sous le nom de Lares ou de Mânes, ils seront l’objet d’actes cultuels ou les repas funèbres, les libations, les offrandes symboliques d’aliments, avec leur cortège de rites, font l’office d’un lien infrangible entre les ancêtres et leurs descendants.

En ces formes, s’affirmera le caractère individuel du culte domestique dont le temple ne sera jamais, dans l’Hellade, que « la maison du Dieu ». La cité ne manifestera qu’un développement du foyer. Plus tard, les Dieux particuliers des tribus participant du prestige des élites familiales, s’imposeront à tous avec cette particularité que le sacerdoce restera dans la tribu qui en fut le berceau. Tel fut notamment le cas de la Déméter des Eumolpides, comme de l’Athéna des Boutadès.

Hélas ! dans les tiraillements de cette dispersion de Divinités d’individualisme à outrance, les spontanéités de cohésion furent trop souvent d’une fâcheuse insuffisance. Malgré son tardif Zeus panhellénique, la Grèce ne sut que s’entre-déchirer. Il fallut la Macédoine et Rome pour lui donner, dans la servitude, la douloureuse revanche qui lui permit, selon le mot d’Horace, de « conquérir son farouche vainqueur ». C’est même de cette suprême victoire que notre civilisation moderne est issue.

Mêmes rites du foyer dans toutes les branches des migrations indo-européennes antérieurement à la grande séparation du Pamir. Dans le culte du feu, l’Inde, la Perse, la Grèce et Rome, se rencontrent avec les frères des vallées de l’Oxus. Les plus beaux hymnes des Védas sont en l’honneur du feu. Nous avons gardé le culte des morts grâce au prolongement chrétien du purgatoire hindou, remplaçant libations et apports d’aliments (dont l’Égypte se faisait un rigoureux devoir) par des prières, des messes à prix d’argent, et tous offices de secours verbal aux malheureux sous le coup des catastrophes ou se plaît l’éternelle bonté.