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AU SOIR DE LA PENSÉE

De la pierre-fétiche a l’animal-fétiche, il n’y a pas très loin. C’est le fameux Totem, animal sacré, dénominateur de tribus. Après le fétiche immobile de formation primitive, le Totem, vivant, fait supérieure figure de Dieu. Il est en action, on le voit se mouvoir, il manifeste des volontés, et chacun de ses actes peut être traduit en un mythe particulier à l’usage des adorateurs[1].

C’est bien ce que nous montrent les gravures et les peintures des cavernes. Mammouths, bisons, crocodiles, cerfs, sangliers, vaches, colombes, peuvent se donner du champ. « Tabous », c’est-à-dire intangibles, ils demandent des rites. Dans leurs grottes-chapelles, nul doute qu’ils les aient obtenus. Même encore aujourd’hui, les singes et les vaches de l’Inde n’y ont point renoncé.

L’ordre logique veut que je mentionne ici les hommes divinisés, selon les formules d’Evhémère, en récompense des services réels ou légendaires qui leur ont assuré la reconnaissance publique. J’en ai déjà parlé. C’est le fameux culte des Héros, vainqueurs des monstres — plus explicable que beaucoup d’autres — mais qui, tout en se classant à une époque très lointaine, suppose déjà des formes d’organisation sociale assez avancées.

« Dieu fit l’homme à son image », dit le livre de Moïse. Nous ne pouvons plus voir aujourd’hui dans cette formule que le renversement du problème. Le fait de l’homme imaginant le Dieu d’après le plus haut étalon de formes dont il dispose : celui de sa personnalité. Comment faire autrement ? Xénophane disait que si les chevaux avaient des Dieux, ils se les représenteraient sous la figure d’un cheval. Mais l’homme ne s’est pas contenté de faire le Dieu physique à son image, comme il nous le représente dans ses tableaux, dans ses statues. Il dut réaliser le Dieu mental et moral au même étalon, avec des sentiments humains de satisfaction ou de mécontentement, comme en témoignent nos « Écritures sacrées. » Dieux de passions humaines, ils le sont tous, partout et toujours, et le culte ne peut plus nous faire voir qu’une incohérence de rapports entre l’adorateur,

  1. Voyez plutôt les chevaux d’Achille lui prédisant sa destinée au moment où il va partir pour le champ de bataille.