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AU SOIR DE LA PENSÉE

faisons apparaître la misère officielle d’une vertu qui, modeste, n’accepterait pas même d’être clamée.

J’ai hâte de dire qu’en dehors des cadres de tout ordre, il est, dans une proportion inconnue, des créatures simples, charitables, au plus beau sens du mot, toujours prêtes à tous les sacrifices, sans espoir de récompense, sans crainte de châtiment. Celles-là, hors des recommandations de la chaire, marchent dans la droite voie, nous montrent le chemin comme l’humble moine d’Assise qui vécut et mourut en aimant. Cela, c’est la grande leçon si rarement donnée : c’est la morale agie dans les hautes régions de l’humanité émotive au lieu de la morale parlée dont se contente l’immense majorité des hommes — hors d’état de comprendre qu’un retour d’aide personnelle nous puisse venir du seul fait d’avoir aidé.

Puisque nos préceptes de morale, au lieu de choir du ciel, expriment simplement des besoins d’une vie ordonnée pour l’avantage de tous et de chacun, nous avons chance d’en réaliser des parties, plus ou moins heureusement. Il s’agit seulement d’amener les hommes à reconnaître qu’il n’y a point d’achèvement des sociétés humaines qui ne se fonde sur l’amélioration individuelle et sociale d’un nombre toujours croissant de citoyens. On peut attendre des institutions qu’elles facilitent ce progrès moral au lieu de l’entraver, comme il arrive à tous les degrés de l’ordre social, par trop de compromissions.


La morale évolue.


Je ne peux pas ignorer qu’en cherchant dans l’homme les fondements de la morale humaine, j’offenserai gravement tous ceux qui ne se peuvent concevoir eux-mêmes hors des bonnes grâces ou des sévices de la Divinité. S’il était quelque moyen de les apaiser, je les prierais de considérer que ma recherche étant de l’homme et de tout ce qui s’y rencontre, je suis conduit à m’enquérir des voies et moyens par lesquels il peut se gouverner.

Je vois bien qu’on me propose une théorie en vertu de laquelle