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LES DIEUX, LES LOIS

dans l’apparition de son « divin »[1] sur la terre par le fait de l’humain créateur.

Sans l’homme, d’ailleurs, quel usage des Dieux, puisque c’est aux fins de l’homme que nous les voyons uniquement employés ? Avant la Genèse, quelle peut avoir été l’histoire de l’éternelle Divinité ? Jahveh n’en dit rien à Moïse, et pour cause. S’il n’avait point procédé à l’acte de sa « Création », quelle existence de pouvoir tout sans rien réaliser ? Aurait-il donc fait antérieurement un autre essai que de notre terre ? Qu’est-ce donc, dans l’éternité, qui l’occupait auparavant ? Pourquoi se donner tant de peine pour ce globe imperceptible, quand s’offraient à lui, de toutes parts, les champs de l’immensité ? Le genre humain venant à disparaître, que deviendrait l’aventure du Créateur ? Faut-il souhaiter que, dans sa détresse, l’idée ne lui vînt pas de recommencer ? Rappelez-vous ses mécomptes, selon les Écritures sacrées. Le drame est dans la trop explicable nécessité d’une suprême manifestation des deux parties. Un Dieu trop décevant, parce que taillé sur les mesures de l’homme d’autrefois : un homme d’aujourd’hui, trop éclairé pour trouver le courage de se refaire, à toutes chances, une autre Divinité.

Le Dieu d’absolu ne pouvait que s’immobiliser. L’homme de relation ne pouvait que changer. Nos Dieux, de figure humaine, nous les avons animés de notre souffle, pour nous abandonner à leurs caprices, recevoir, d’eux le bien et le mal et dépenser notre vie en implorations de toute heure, au lieu de nous consacrer simplement à l’œuvre positive de notre destinée. Nous les avons dits « éternels », mais il n’était pas en notre pouvoir de leur conférer la pérennité. Issus de notre substance, nous les avons vus passagers, comme nous-mêmes, avec leur cortège de mythes que l’histoire nous montre de fragile précarité. La tâtonnante humanité les suit, de leur naissance dans l’éblouissement du soleil (gloire des premiers cultes), à leur chute dans la nuit de toujours moins profonde pour nous, jouets des éléments, que pour d’anciennes Divinités de Toute-Puissance décidément

  1. La contradiction de Renan fut de l’acte d’héroïsme admirable qui lui fit abandonner la croyance pour la connaissance, sans lui donner l’audace de changer sa phraséologie. Quel témoignage d’un si haut esprit arrivant à se rendre plutôt maître des idées que des mots !