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AU SOIR DE LA PENSÉE

toujours pressants, les insuffisances ou les imprévoyances et les déceptions de toutes catégories, ouvrent aux sollicitations de l’inconnu un domaine sans limites pour les sursauts de l’imagination.

La discipline des lois cosmiques requiert de nous une disposition tout opposée. Incomplètement reconnues, mais suffisantes pour la sécurité de notre connaissance relative, il n’y a point à les solliciter autrement que par des dispositions d’expérience. Le cas Périclès, expliquant une éclipse à ses soldats déconcertés, est décisif dans l’histoire de l’esprit humain. C’est la rencontre des deux chemins entre lesquels Hercule fit son choix bravement.

Les lois sont un état de relations observées, c’est-à-dire de ce que nous pouvons peu à peu reconnaître d’une constance de rapports dans les mouvements de l’univers. Ces « successives constance de rapports » sont tout ce que nous connaissons du monde. Points de rencontre de l’objectivité cosmique avec l’état de subjectivité humaine qui en est issu par les voies de l’individuation sensibilisée. Repères de fixité provisoire qui s’ordonneront, selon le champ de la connaissance, en alignements d’interprétations. « Lois non écrites » opposées à Créon par Antigone comme la règle suprême de l’ordre universel contre lequel rien ne peut prévaloir. Le plein contraste d’un monde impassiblement ordonné, ou gouverné par des à-coups de volontés divines, comme ceux qu’on nous invite, du haut de la chaire à solliciter ? Qu’en serait-il de nous si toutes les prières, contradictoires ou non, se trouvaient d’un seul coup magiquement réalisées ? Gouvernement de l’univers par les hommes au lieu de la Divinité, quelque chose comme une démocratie cosmique affolée. La prière et la loi sont en contradiction trop manifeste. Les Dieux ne peuvent exprimer une continuité de rapports puisqu’ils sont de changeantes volontés, comme l’implique l’intercession du fidèle. Le monde continu suppose des rapports inflexiblement enchaînés dont la constance se formule par une loi maîtresse de l’univers.

Eschyle, en sa hardiesse, avait mis le Destin au-dessus de Zeus lui-même. Le Destin, qu’est-ce que ce peut être sinon l’ensemble des rapports qui régissent l’univers. Quand les Dieux tomberont dans la nuit éternelle, c’est l’inflexible Loi qui aura prononcé. L’Hellénisme ayant personnifié la loi en Thémis (la Justice),