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AU SOIR DE LA PENSÉE

vations. Aucun homme de sens rassis, en dehors du métaphysicien, ne se proposera le plein achèvement des vues d’imagination. D’autre part, aucun homme d’une moyenne intellectualité n’avancera, dans la voie des investigations positives, sans des hypothèses d’anticipations en quête de voies nouvelles. Au tableau des opérations de l’esprit, imaginer, observer, marcheront ainsi de compagnie,

L’un disant tu fais mal, et l’autre c’est ta faute.
La valeur des évolutions mentales se mesure aussi bien à la puissance d’anticiper droitement qu’à la probité des rectifications.

Est-il certain qu’entre l’imagination et l’interprétation d’expérience, il y ait autre chose qu’une mesure d’élan dans des échelles d’approximations ? Cette vue tenterait par sa simplicité. Ne voyons-nous pas qu’on ne peut imaginer que sur des fondements du réel, et que ce réel lui-même, comme dans l’histoire de l’atome, par exemple, dépasse quelquefois les plus belles audaces de l’imagination ? Imaginer, c’est se figurer le monde au delà des mesures contrôlées. Observer ne peut aboutir qu’à ordonner, à approprier toutes figures de nos sensations de positivité, pour nous ramener, selon nos moyens, dans le cadre d’une connaissance capable de subir l’épreuve de la durée.

À travers le conflit des réalités et des données imaginaires, quel usage des naturels développements de nous-même, sinon de diminuer progressivement l’écart du rêve à l’observation ? Toute la vie des hommes et des peuples demeure attachée à cette conciliation, à cet accord de désaccords. Si puissante pour suggérer, pour vérifier, pour développer, pour vivifier nos conquêtes d’expérience, l’écriture mathématique est de mètre universel, c’est-à-dire d’une fixité d’idéalisme donnant corps à l’hypothèse d’un décret absolu. N’est-ce pas l’imagination toujours qui corrige doucement l’implacable rigueur des activités mondiales, atténuant les chocs trop vifs des émotivités où la suggestion de réalité voudra fixer l’imaginaire, où l’imaginaire prêtera ses ailes à la réalité ?

Ainsi, l’homme se laissera jeter aux actes qui expriment le plus beau de lui-même, — fier des plus lourds sacrifices en vue