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CONNAÎTRE

connu par laquelle nous saurons triompher des accoutumances héréditaires.

Qu’il soit rendu, cependant, pleine justice aux accomplissements du langage. Si la déviation du mot, imaginairement réalisé, a pu nous maintenir trop longtemps dans une dramatique mésinterprétation du monde et de nous-mêmes, n’oublions pas qu’il nous fut provisoirement de secours, et que le naturel redressement de la connaissance positive a suffi pour que ce même verbe d’aberration théologique nous laissât une puissance nouvelle d’idéalisme dépersonnalisé, c’est-à-dire affranchi des hallucinations concomitantes. Pas de mots, pas de Divinités. Sans paroles, toutefois, pas d’idéalisme, puisqu’il faut le verbe pour les figurations évocatrices d’un nouvel effort vers le devenir. Le mot égara notre insuffisance. Réintégré dans le plein de son humaine valeur, le mot redeviendra notre guide, et nous emportera même au delà du prochain but, pour un entraînement d’avenir qui ne sera jamais perdu. Que le mot, porteur d’idéal, nous demeure sacré.

Cependant, une dépense prolongée d’énergies nous ouvre des accès vers une simplicité fondamentale des complexités où se répand l’univers. Tout paraît se ramener, ai-je dit, à des jeux d’ondes vibratoires. L’état solide, roches ou sédiments, nous dérobe la sensation du cinétisme universel par des apparences venues de l’originelle insuffisance de nos organes sensoriaux. L’état gazeux nous déconcerte d’agitations désordonnées parmi lesquelles la grossièreté de nos sens ne nous a permis que très tard des déterminations de mouvements. L’état liquide, enfin, avec le ruissellement de ses pluies, l’écoulement irrépressible de ses fleuves à l’Océan tumultueux, fait surgir à notre vue, sous le ciel, un spectacle des choses qui paraît le mieux figurer les mouvantes arcanes des profondeurs cosmiques.

Des lames de tempêtes qui se soulèvent et s’affaissent sans relâche pour des transmissions d’états où l’acuité de nos sensations essaie de pénétrer jusqu’à la racine d’une activité générale que nous dénommons « l’énergie ». La main portée sur le voile d’une Isis dont le mystère consiste en des manifestations d’exister. Le sort de notre connaissance n’est-il pas d’en venir toujours à quelque jointure du monde qui ne veut pas céder ? Tout ce que nous pouvons faire est de fixer verbalement au passage, pour