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CONNAÎTRE

À quoi cela peut-il nous avancer de dire que nous créons nous-mêmes, à tout moment, par le fait de l’évolution ? La création « ex nihilo » est un tour de prestidigitateur, maître des apparences. La création de quelque chose en quelque chose s’appellera modestement une « émanation », comme dans les cosmogonies de l’Inde, ou mieux encore un « engendrement ». Notre Moi de déterminations organiques, qui, métaphysiquement, devrait être fixe dans son essence d’éternité, se renouvelle d’âge en âge sans que le parti-pris dogmatique consente à en faire état. Déterminé, déterminant, voilà toute son histoire. Ne crée-t-il donc rien que des mots ? M. Bergson n’y veut point consentir. Il proclame que « l’évolution crée au fur et à mesure, non seulement les formes de la vie, mais les idées qui permettraient à une intelligence de la comprendre, les termes qui serviraient à l’exprimer. » Voilà bien des choses en une sonorité de voix. Tout cela faute de pouvoir nous dire ce qu’on entend par le mot : « création ! »

Pour dépasser l’imagination reproductrice, c’est-à-dire la mémoire, il faut, nous dit-on, « du nouveau », réservé à l’imagination productrice ou constructive. Je crains bien que cela ne soit pas aussi clair qu’il peut paraître. Les sciences découvrent chaque jour des phénomènes « nouveaux » que l’étude met plus tard à leur place dans l’enchaînement des connaissances, sans que personne s’avise de parler d’une « création. » On nous dit que les deux principaux procédés de l’imagination pour créer sont la personnification et la ressemblance, avec l’aide de l’analogie et de la métaphore. À moins de changer délibérément le sens des mots, on ne peut pas soutenir que cela constitue une « création. » je n’y vois qu’une seule et même procédure qui consiste à tout animer dans le monde en prenant texte des analogies. C’est ainsi, comme je l’ai montré, que se sont faits les Dieux. En ce sens, on peut dire, et j’ai moi-même écrit, que nous les avons véritablement « créés » d’imagination. Le fait tout simple est que nous avons conféré à des mots (signes interprétatifs des choses) de prétendues valeurs d’activités personnelles, et que sur cette donnée d’arbitraire ont surabondamment proliféré les mythes de tout ordre, c’est-à-dire des romans cultuels

    la suivre dans son développement, sous la multiplicité de ses formes, quelles qu’elles soient. » Tout cela me paraît assez loin de l’idée primitive de création.