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AU SOIR DE LA PENSÉE

La voix articulée.

Pour rester sur la terre et y procéder selon les lois de l’évolution organique, l’étude s’imposerait d’abord des puissances d’observation et d’imagination chez les animaux. Il est entendu que l’intervention du langage articulé nous offrira, par la souplesse du jeu de ses signes, d’incomparables accès à des compréhensions supérieures. Il n’en est pas moins nécessaire de remonter à la source si l’on veut distinguer les premiers mouvements du phénomène.

Les sensations de l’animal sont manifestement du même ordre que les nôtres, et jusqu’à l’apparition de l’homme parlant, leurs associations semblent équivalentes. Les images peuvent et doivent différer selon la délicatesse des sens et les tâtonnements d’interprétations plus ou moins rudimentaires. En tous cas, les rapports, des deux parts, ne sont pas de mêmes coordinations, puisque l’intensité comme la qualité des sensations de la vue, de l’odorat, de l’ouïe, du tact, peuvent être fort au-dessus des nôtres chez un très grand nombre d’animaux, si même certains d’entre eux ne sont pas pourvus de quelques sens supplémentaires. Les oiseaux migrateurs accomplissent des parcours où nous ne pourrions nous reconnaître. Cependant l’abeille, mise en défaut par un léger déplacement de sa ruche, atteste que ses moyens de repère ne sont point du tout les nôtres.

On ne saurait contester qu’une observation, élémentairement aménagée en deçà ou au delà de nos moyens, est le premier fondement de la vie animale. « Chat échaudé craint l’eau froide ». Quel plus sûr argument d’une manifestation d’expérience ? Par l’effet du langage, les coordinations de l’intelligence humaine seront incomparablement multipliées, affinées dans les données de l’évolution. Faute du développement linguistique, l’animal n’offrira aucun signe d’une émotivité religieuse, stage d’une évolution mentale à laquelle ne peuvent prétendre des organismes insuffisamment doués.