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CONNAÎTRE

vent pas à comprendre que la pire défaillance est de croire que, par la vertu d’un son, ils savent ce qu’ils ne savent pas. C’est qu’il est plus aisé d’exprimer l’inexprimable par des voies d’artifice qui peuvent être de duperie, que de le faire comparaître à notre barre et de nous montrer expérimentalement en état de l’interroger !

L’adaptation du mot et de la pensée.

L’association et la dissociation (ou abstraction) sont les deux principaux facteurs du phénomène général dans le torrentiel écoulement des sensations successives ou simultanées. On ne peut mettre en doute des commencements d’associations chez les animaux. Mais l’abstraction (d’origine purement imaginative) qui détache une sensation de l’ensemble et l’isole par un mot évocateur, lui confère une individualité schématique pour des constructions verbales de rapports. Toute la mathématique, sans laquelle il ne serait point de science, est d’une généralisation poussée jusqu’à l’abstraction dans l’attente d’un effet de correspondance objective. De même, le langage est d’une convention de signes algébriques qui nous fournissent subjectivement des solutions d’objectivité. Nous savons très bien ai-je déjà dit, qu’il n’existe ni a, ni b, ni x. Et pourtant, a, b, x, et tous signes congénères d’hypothétiques valeurs nous conduisent à des fixations de jugement que nous pouvons rapporter aux objets[1].

La différence est d’un système élaboré, pour le calcul, selon la spontanéité des réactions organiques dont la voix est le retentissement naturel. Seul, l’homme, par la libération verbale d’images fictivement dissociées, atteint une puissance d’analyse dont la ténuité lui ouvre l’accès de rapports en de nouvelles

  1. Quand, au lieu de a, b, x, nos primitifs se trouvèrent en présence de l’inconnu (innommé) des mouvements élémentaires, le nom ne se fit pas attendre, pas plus que la figure d’une entité. J’en ai montré le spectacle au chapitre Les Hommes, les Dieux.