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CONNAÎTRE

des fins de grandeur morale où le meilleur puisse se développer. Car on n’accroîtra rien des civilisations humaines que par l’accroissement de l’individu dans l’ordre de la connaissance positive, source permanente de nos plus beaux élans de personnalité[1].

Les progrès de la méthode expérimentale sont la merveille des temps. Théologiens et métaphysiciens refusent d’en tenir compte, parce qu’ils veulent la connaissance objective en « faillite », bien qu’aucun homme ne puisse se dispenser d’en faire état, même s’il se confie, pour ses généralisations cultuelles, aux chances du rêve effréné. Le haut clergé de la métaphysique, tenu de s’accommoder en dépit de lui-même à la « faillite de la science »[2], se pourra risquer à admettre, pour la forme, une doctrine d’évolution. En ses mains, on pressent ce qu’il en pourra subsister.

Faillite de la science, il serait temps de savoir, ce que signifie ce vocable. Pour prononcer que la Révélation seule peut éclairer notre intelligence et que l’observation expérimentale ne peut nous apporter aucun apaisement de connaissance, il faut porter en soi un organisme pétrifié dans la gangue des âges comme ces vestiges de fossiles moulés dans le calcaire de nos grèves. Deux moyens de « connaître ». L’un dénué de tout appareil de vérification positive, étayant une affirmation, toute nue, d’une série d’autres affirmations venues du temps où nul établissement d’expérience ne se pouvait concevoir. L’autre, produit d’une sévère discipline d’expérimentation appliquée à ne chercher des formules de connaissance que dans les rigoureuses méthodes

  1. La Chine, en ce sens, a devancé tous les penseurs en nous fixant, pour suprême atteinte, la découverte de la « Voie » (Tao).
  2. M. Henri Poincaré s’adressant aux « gens du monde », plus traitables que le clergé, s’applique à démontrer, par une longue suite d’exemples, que les interprétations scientifiques dépassées se débitent en des matériaux utilisables, et même nécessaires, pour les constructions qui vont leur succéder, jusqu’au jour où des développements d’expérience viendront à demander de nouvelles formes d’interprétations. Je ne puis que renvoyer au chapitre X de la Science et l’Hypothèse, où chacun pourra voir, dans la succession des théories, comment des contingents de précisions nouvelles peuvent s’incorporer aux fondements acquis des anciens jours. Loin qu’une erreur d’observation soit toujours vaine, il n’est pas jusqu’à sa trace même qui ne puisse nous offrir un meilleur conditionnement de vérités.