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CONNAÎTRE

homme « digne de la solitude »[1] qui ose rompre avec les prestigieuses magies du passé, pour l’analyse et la synthèse de tout ce que l’observation impassible lui révèle de l’univers, sans parti pris de conclusions anticipées ? C’est par le fer et par le feu qu’on a prétendu barrer la route aux investigations de la connaissance désintéressée. Les grands martyrs sont là, qui ne cessent de témoigner. L’Église et les sociétés dont elle avait assumé la conduite ont épuisé des siècles dans l’art de supplicier, de massacrer. Vainement. La vie, longtemps trompée, a pris la plus éclatante revanche. N’est-ce pas au plus fort d’une clameur de haro contre la science, que la faillite de l’Église s’est vue définitivement confirmée ?

Non que le dogmatisme théologique paraisse menacé d’une fin prochaine. Il a déjà subi de terribles assauts. Les temps l’ont allégé de ses abus les plus criants[2], mais, sans le déloger encore des obscurs réduits de sensibilités primitives ou le maintient moins la faiblesse des intelligences que l’abdication des courages, le désarroi des volontés. L’ignorance peut s’éclairer. Que d’efforts perdus contre l’aveugle stupeur de mentalités délibérément amies de l’obscurité !

Malgré tout, il est vrai, une impétuosité de connaître et de pousser toujours plus avant notre connaissance, est le trait de caractère qui met l’esprit humain, en pleine possession de lui-même, si fort au-dessus des résistances massives de l’animalité. Nous sommes tenus d’une obsession d’enquête qui ne cesse de tourmenter l’inconnu de ses comment, de ses pourquoi. Quelles que soient les réponses, errer n’est pas nécessairement faillir, si la méprise reconnue nous conduit à des formules plus proches de la vérité. La bête n’a pas même de « faux Dieux » en compagnie de qui s’égarer.

Le malheur est que notre essor vers la connaissance fugitive nous emporte trop vite aux solutions simplistes d’une imagination de prime-saut. C’est l’origine des dérivations cultuelles qui ne demandent qu’une répétition de catéchisme, sans liberté de contredire, pour faire que le plus ignorant se trouve verbalement d’emblée au-dessus des investigations laborieuses où le

  1. Mallarmé.
  2. Ce sont surtout les formes qui ont changé.