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LE MONDE, L’HOMME

auxquels nous sommes invinciblement liés, qui nous jette à la plus parfaite émotion de la vie, au charme souverain du beau, auquel l’animal lui-même n’est pas insensible[1], mais qui a besoin de notre table d’harmonie pour l’éphémère splendeur de son achèvement. Il faut, en effet, tout l’homme pour cela. Sans l’homme, la beauté de la fleur, hors d’un vain rayonnement de volupté suprême, dans l’indifférence des choses, ne serait que l’histoire, parmi tant d’autres, d’un épuisement de subjectivité. Que l’œil de l’oiseau, à la vue de sa graine ou de sa compagne, cache ou révèle une joie du monde, c’est en l’homme seul que la suprême sensation de beauté se réalisera pleinement par une réaction de sensibilité supérieure consacrant les accords du monde universel. À l’homme, la plus haute harmonie de l’être et du Cosmos, même s’il lui arrive de ne pas se montrer toujours digne d’une telle faveur de la destinée.

Puisqu’il y a dans l’univers des constructions mouvantes qui ne sont de complète harmonie que par nous, c’est notre affaire de dégager ce trésor, de l’emmagasiner, de l’aménager, de l’accroître, de le développer selon nos facultés personnelles, pour collaborer de notre effort au plus haut battement de l’œuvre mondiale dans l’éclair de notre journée. Le rêve même — réaction de faiblesse ou exaltation d’énergie — ne sera-t-il pas encore une recherche d’étendue, aussi bien qu’un élan de hauteur ?

À cette fête indicible des choses, tout instant de nous-mêmes ne cesse de s’offrir. Discrets ou retentissants, les appels du monde extérieur nous convient assez haut à réaliser le meilleur de notre vie par le développement des sensations dont nous assaille le plus fugitif aspect de l’homme et de son univers. Nos chrétiens, aberrants, prétendent nous inspirer le mépris de la terre. Ayons-en le respect, l’amour filial, la vénération pieuse. Surtout, tâchons de commencer par la comprendre, quand il n’est besoin, pour cela, que d’être en mesure de l’interroger.

Plaines, vallées, montagnes, la terre se délecte à l’infini registre des lumières lentement déroulées sur le rude écran de ses rocs ou l’ardent décor d’une végétation qui flamboie. Notre trépidante planète, aux entrailles de feu sous les fleurs, entraînée par son soleil dans la course éperdue d’une inexprimable épopée,

  1. Cf. Darwin.