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LES SYMBOLES

à retenir la faux du moissonneur. On comprend que le montagnard cherche le sol nourricier, mais comment a-t-il pu vivre et multiplier sur ses rochers au point de fournir des contingents d’émigration ? On s’explique, au contraire, que dans les plaines du Danube ces contingents aient pu se former, mais qu’est-ce donc qui les attirait vers des pays ingrats et comment furent-ils amenés tour à tour à émigrer vers l’Orient et vers l’Occident ? Rien n’est moins éclairci que ces hypothèses de déplacements ethniques fondées sur des inductions hasardeuses. Encore ne s’agit-il que de celles dont les traces nous demeurent. Tout le reste s’enfonce dans une nuit impénétrable.

L’Inde éminemment réceptive a tout accueilli, tout fondu, tout absorbé. Tous les Dieux furent siens parce qu’elle eut peut-être on ne sait quelle vague conscience de leur commune origine aux sources des sensibilités humaines, souvent même de leur filiation, de leur identité profonde dans les tumultes des dénominations. L’Égypte semble avoir eu la même sensation, s’offrant aux parallèles des Divinités où se complaisait Hérodote. Mais l’Inde s’assimila tout, sans jamais s’arrêter. Et tant de contradictions se trouvèrent conciliées, — par de philosophiques points d’interrogation aux frontières de l’inconnu — selon les inspirations panthéistes du Vedanta, et surtout du Çamkya, sans Dieu, d’où dériva le bouddhisme avec son prolongement chrétien, l’un et l’autre bientôt défigurés.

Le grand Mogol Akhbar, conquis par sa conquête, voulait fondre toutes les religions. Il n’entendait par là que les cultes. Dans la mesure du possible, le syncrétisme de l’Inde, plus haut que le sien, avait déjà, sans qu’il pût le comprendre, réalisé métaphysiquement, pour une part, la substance de son dessein. Peut-être finit-il par découvrir que le plus difficile pour l’homme, en matière religieuse, est de changer de métaphores. Je le lui aurais souhaité.

Vainement, les colons Bactriens d’Alexandre sculptèrent à tour de bras des Bouddhas hellénisés[1]. Déjà le bouddhisme

  1. On connaît l’art bouddhique hellénisé du Gandhâra. Voyez le remarquable ouvrage de A. Foucher à qui nous devons de si belles recherches. Ce sont les colons bactriens d’Alexandre qui inaugurèrent l’art bouddhique en l’hellénisant. Jusque-là, il était interdit de reproduire les traits du Bouddha. Aux bas-reliefs de Sanchi on le voit représenté par la plante du pied, par un