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AU SOIR DE LA PENSÉE

fiées par toute expérience des mouvements cosmiques au travers desquels nous tenterons de devancer la connaissance par d’audacieuses hypothèses sans perdre le contact avec la réalité. Ainsi, il y aura « l’infini à parier contre un », comme disait Laplace, que nous arriverons, un jour, à couronner nos sensations des choses de généralisations correspondant aux phénomènes observés.

À quelles contradictions se heurterait le sens commun le plus vulgaire, s’il fallait, après observations dûment enregistrées, faire confiance aux lourdes méconnaissances des traditions dites sacrées ? Il apparaît assez que ces paroles d’en haut qui devaient faire, parmi les hommes, le consensus universel des connaissances, n’ont abouti qu’à de violents conflits d’opinions irréductibles, tandis qu’à la modeste constatation d’expérience est revenu l’avantage de réunir toutes les intelligences dans une commune acceptation de phénomènes déterminés.

Les romanciers de l’intuition allèguent, contre nous, les imperfections de notre savoir. Nous ne pouvons pas changer les conditions de l’esprit humain, auquel on ne saurait refuser l’avantage d’avoir ordonné des constructions de connaissances positives, dans le naufrage des « Révélations » de la Divinité. L’inconnu ne nous laisse de choix qu’entre l’acceptation de la nescience et les stages d’une connaissance fragmentaire dont les affirmations, toujours révisables, nous permettent, selon le temps, une doctrine du « connu ». Est-ce à dire que nous y devions préférer l’aventure des présomptueuses affirmations qui vont s’effritant, se dégradant chaque jour — loin de pouvoir jamais atteindre le degré de « certitude » où la somme hypothétique des déchets d’incertitudes peut être provisoirement négligée ? Tout ce qui est du monde et de nous a pour loi de se renouveler éternellement. Qui donc pourrait s’en plaindre ? Si Einstein a véritablement « corrigé » Newton, soyez sûrs que personne ne s’en réjouirait plus que Newton lui-même, bien loin de le déférer au Saint-Office, après Galilée. Et puis, le jour viendra, sans doute, d’une critique d’Einstein. Haute fortune de l’homme que son lot soit d’apprendre toujours plus !